Visitez aussi :
Logo

http://www.observatoire-biodiversite-bretagne.fr/especes-invasives/Flore-continentale/Invasives-averees/Les-Griffes-de-sorciere-Carpobrotus-sp.

 

Dernière modification le 05 mai 2008


Les Griffes de sorcière (Carpobrotus sp.)

Depuis un siècle, les Griffes de sorcière colonisent les falaises et les dunes du monde entier. Des capacités de croissance importantes et la dissémination par les Hommes lui ont permis de s’introduire sur les falaises et les dunes bretonnes, rendant sa gestion plus compliquée…


Description, origine et répartition géographique (1) : deux espèces de plantes

Venues d’Afrique du Sud, les Griffes de sorcière sont représentées par plusieurs espèces introduites pour leurs qualités ornementales.

Description et classification (1)
Les Griffes de sorcière appartiennent à la famille des Aizoacées et au genre Carpobrotus.
Il en existe deux espèces bien identifiées en France :

  • Carpobrotus edulis (L.) N.E.Br. : Griffe de sorcière ou Figues de Hottentot
  • Carpobrotus acinaciformis (L.) N.E.Br. : Ficoïde à feuilles en sabre ou Griffe de sorcière

Les espèces du genre Carpobrotus ont la capacité de s’hybrider. Il peut donc se former d’autres espèces à partir des deux espèces principales. Elles sont toutefois difficiles à caractériser et encore mal identifiées. Nous appellerons ces deux espèces Griffes de sorcière pour plus de commodité.

La famille des Aizoacées regroupe des plantes originaires d’Afrique australe dont la caractéristique est de stocker l’eau dans l’ensemble de leurs tissus. Il s’agit de plantes succulentes.

Les Griffes de sorcière sont des plantes rampantes ou pendantes à plusieurs tiges par pied. Celles-ci peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur. Les feuilles sont très charnues pour permettre le stockage de l’eau. Elles sont opposées, et séparées par plusieurs centimètres de tiges. Elles mesurent 8 à 11 centimètres de longueur et ont une section triangulaire.

Les Griffes de sorcières se développent sur les littoraux où elles colonisent les falaises rocheuses, les pentes rocailleuses et les dunes sableuses.

Reproduction
La griffe de sorcière se reproduit de deux façons différentes :

Reproduction sexuée
Au printemps, les plantes produisent de grandes fleurs de 5 à 12 cm de diamètre. Elles sont généralement jaune clair chez C. edulis et rose-pourpres chez C. acinaciformis.
Il y a pollinisation par les insectes des fleurs femelles par le pollen des fleurs mâles mais les fleurs peuvent également être autofécondes. La pollinisation aboutit à la formation de graines qui sont ensuite disséminées dans les environs essentiellement par les vertébrés qui consomment les fruits mais aussi par les fourmis.

Reproduction végétative
La plante émet également des stolons qui lui permettent de s’étendre rapidement.

Origine et introduction

Les Griffes de sorcières sont originaires d’Afrique du Sud, de la région du Cap, plus exactement.
Elles furent introduites pour la première fois en Europe en 1680 en Belgique puis plus tard, en 1690 en Angleterre. On les aperçut dans la nature pour la première fois sur les îles anglo-normandes 1886.
Par la suite, ces plantes furent introduites sur l’ensemble des côtes françaises pour leurs qualités esthétiques. Elles finirent par engendrer à proximité des habitations des populations pérennes et par s’étendre sur les falaises rocheuses.

Les Griffes de sorcière sont dorénavant présentes en Bretagne dans les quatre départements.
En Ille et vilaine, il existe quelques populations sur l’île de Cézembre (2).
Dans le Morbihan, Carpobrotus edulis est présent sur plusieurs communes littorales et forment par endroit des colonies assez denses. A Belle Ille en Mer, c’est Carpobrotus acinaciformis qui forme des populations invasives sur les falaises rocheuses de l’île (3).
Dans les Côtes d’Armor, Carpobrotus edulis forme des populations invasives non loin des habitations d’où cette espèce s’est échappée (4). Si le gel hivernal détruit facilement les plantes, la recolonisation est rapide dès que les températures remontent.
Dans le Finistère, la plante est présente un peu partout sur le littoral, comme par exemple sur l’archipel des Glénan, la pointe du Raz, sur la presqu’île de Crozon,sur la côte des Abers (2).
Plusieurs zones ont également été découvertes sur le territoire de Brest métropole océane lors d’un inventaire réalisé par l’Institut de géoarchitecture (5).

L’invasion et ses effets : des pans entiers de falaises colonisés

Les Griffes de sorcière ont la capacité d’envahir les falaises et de remplacer les plantes autochtones.

Capacité de colonisation

Les Griffes de sorcière font preuve de capacités importantes de colonisation :
Chaque fruit peut contenir de 1000 à 1800 graines chez C. edulis et de 650 à 750 graines chez C. acinaciformis. Au sein d’une population de plusieurs milliers d’individus émettant chacun des centaines de fruits, le nombre de graines fertiles peut être extrêmement élevé.
Les animaux consomment les fruits de Griffes de sorcière. Les graines contenues peuvent donc être transportées assez loin. Ainsi il a été remarqué que le passage des graines dans le tube digestif des animaux facilite leur germination. De plus la présence de sel dans le sol s’avère aussi un facteur favorable à la germination (1). Ces deux facteurs sont souvent réunis sur les zones colonisées.

Les taux de croissance des deux espèces de Griffes de sorcière sont également très élevés. Ils atteignent 50 à 70 cm par an.
Un pied peut recouvrir une surface très élevée (20 m² en 10 ans) et les herbiers peuvent former une couche de 55 cm d’épaisseur.

Par ailleurs, les Griffes de sorcière sont fréquemment plantées par les particuliers qui, plus que tout autre mode de dissémination, participent à la propagation des populations invasives de ces espèces. Il est en effet possible de se procurer ces plantes dans les jardineries.

Impacts
En colonisant les littoraux, les Griffes de sorcière remplacent facilement les autres espèces qui vivent sur les falaises et les dunes.
Les pelouses littorales, les milieux dunaires, qui sont écologiquement très riches, doivent supporter une nouvelle menace qui s’ajoute à celle engendrée par l’urbanisation des littoraux.

Gestion des Griffes de sorcières (1) : un travail dangereux

Les méthodes de contrôle classique sont rendues difficiles par un accès peu aisé aux zones colonisées.

Arrachage

Les agents de la Communauté de communes du pays d’Iroise ( CCPI) effectuent une surveillance systématique de leurs zones littorales. Ils réalisent des arrachages manuels dès qu’apparaissent les plantes.
Cependant, les gestionnaires se heurtent à deux écueils :

  • Les Griffes de sorcière se situent souvent sur des terrains privés dont ils n’ont pas la gestion.
  • Les plantes poussant sur des falaises, des problèmes de sécurité se posent en raison de la difficulté d’accès et de l’aspect dangereux des travaux qu’il faut y effectuer. En outre, arracher les Griffes de sorcière sur de telles zones peut engendrer l’érosion des falaises.

Lutte chimique
Pour être efficace, les désherbants doivent être appliqués sur chaque tige, et à la main. Ceci représente un travail important et pénible. La lutte chimique pose également le problème de la sélectivité des substances employées et donc de leur effet sur les espèces autochtones. De plus, les herbicides peuvent subsister longtemps dans le sol avant d’être dégradés, ce qui entraîne une autre nuisance écologique.

Brûlage
Des feux contrôlés peuvent également limiter l’extension des Griffes de sorcière. En outre, si la température du sol dépasse 100 °C, les graines sont définitivement détruites. Toutefois, les feux littoraux posent de sérieux problèmes en raison de leurs impacts écologiques et de l’érosion qu’ils génèrent.

Perspective et recherche : une recherche active

Invasive dans le monde entier, les Griffes de sorcière font l’objet de travaux de recherche intenses dans les pays colonisés, dont la France.

En France, l’Institut méditerranéen d'écologie et de paléoécologie ( Imep) de l’Université de Marseille étudie le développement de ces plantes. Des travaux sont également en cours en Californie en Espagne et au Portugal.
Les travaux actuels portent essentiellement sur les transferts de gènes entre les différentes espèces. Les scientifiques cherchent en effet à comprendre les mécanismes de l’invasion par la génétique (6,7).
Les chercheurs ont également montré par exemple que les deux espèces de Griffe de sorcière ont des mécanismes d’invasions différents. Ils recommandent donc de prendre en compte ce résultat dans la gestion des espèces (8).
L’impact de la présence des Griffes de sorcières sur la pollinisation des espèces locales a été mesuré par une équipe espagnole (9).
D’autres travaux portent sur l’architecture des tiges afin d’en comprendre les mécanismes de croissance (10).
Par ailleurs, des études ont tenté de comparer la différence de développement des Griffes de sorcière entre les îles et le continent (11). Les résultats n’ont pas montré de tendance générale applicable à d’autres îles.
Enfin, les Griffes de sorcière offriraient des perspectives intéressantes en matière de molécules anti-cancéreuses (12) et anti-bactériennes (13).

Rédigé par Fabice Pelloté en collaboration avec Jacques Haury (Agrocampus-Inra).

Références

Ouvrages et publications

1. Müller S. 2004. Plantes invasives de France. 168p. Publication scientifique du Muséum. Nancy
2. Jezequel R. 2006. Elaboration d'une stratégie de lutte contre les plantes invasives en presqu'île de Crozon. Rapport de stage de master 2. Institut de géoarchitecture. 121p. Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Plérin (22)
3. Rivière G. 2007. La flore du Morbihan. 654p. Siloë. Laval
4. Philippon D. 2006. La flore des Côtes d'Armor. 566p. Siloë. Laval
5. Institut de géoarchitecture. 2007. Plantes invasives. Compte-rendu de l'étude. 55p. Brest métropole océane. Brest
6. Schierenbeck, K., Symonds, V., V, Gallagher, K., and Bell, J. 2005. Genetic variation and phylogeographic analyses of two species of Carpobrotus and their hybrids in California. Molecular Ecology. Vol. 14 (2) - p.539-547.
7. Suehs, C., Affre, L., and Medail, F. 2004. Invasion dynamics of two alien Carpobrotus (Aizoaceae) taxa on a Mediterranean island: I. Genetic diversity and introgression. Heredity. Vol. 92 (1) - p.31-40.
8. Suehs, C., Affre, L., and Medail, F. 2004. Invasion dynamics of two alien Carpobrotus (Aizoaceae) taxa on a Mediterranean island: II. Reproductive strategies. Heredity. Vol. 92 (6) - p.550-556.
9. Moragues, E. and Traveset, A. 2005. Effect of Carpobrotus spp. on the pollination success of native plant species of the Balearic Islands. Biological Conservation. Vol. 122 (4) - p.611-619.
10. Sintes, T., Moragues, E., Traveset, A., and Rita, J. 2007. Clonal growth dynamics of the invasive Carpobrotus affine acinaciformis in Mediterranean coastal systems: a non-linear model. Ecological Modelling. Vol. 206 (1/2) - p.110-118.
11. Suehs, C., Affre, L., and Medail, F. 2005. Unexpected insularity effects in invasive plant mating systems: the case of Carpobrotus (Aizoaceae) taxa in the Mediterranean Basin. Biological Journal of the Linnean Society. Vol. 85 (1) -
12. Ordway, D., Hohmann, J., Viveiros, M., Viveiros, A., Molnar, J., Leandro, C., Arroz, M., Gracio, M., and Amaral, L. 2003. Carpobrotus edulis methanol extract inhibits the MDR efflux pumps, enhances killing of phagocytosed S. aureus and promotes immune modulation. Phytotherapy Research. Vol. 17 (5) - p.512-519.
13. Watt, E van der and Pretorius, J. 2001. Purification and identification of active antibacterial components in Carpobrotus edulis L. Journal of Ethnopharmacology. Vol. 76 (1) - p.87-91.