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Dernière modification le 08 août 2011


Le bryozoaire Tricellaria inopinata

Tricellaria inopinata, d'Hondt & Occhipinti Ambrogi, 1985, est un bryozoaire. Originaire de l'Océan Pacifique, T. inopinata a été observée pour la première fois en Europe en 1982, à Venise. Sa description et son premier signalement en ont été publiés trois ans plus tard. Depuis lors, cette espèce colonise un nombre croissant de localités sur les côtes européennes et nord-africaines, l'implantation débutant chaque fois en région portuaire.


A. Description, biologie, origine et répartition

Tricellaria inopinata constitue de petits buissons, de 1 à 1,5 cm de hauteur, de couleur blanche sur des substrats immergés à faible profondeur. Elle ne possède pas de nom vernaculaire et est communément désignée sous son nom scientifique.

Description

Tricellaria inopinata est un bryozoaire. Les bryozoaires sont de petits animaux fixés à un substrat qui forment des colonies encroûtantes ou dressés.
Les colonies de T. inopinata sont constituées d’individus en continuité physique. Ces individus sont appelés des zoïdes. Les zoïdes, longs de 0,40 à 0,65 mm, ont l'aspect de petites logettes ou cavités closes. Le corps du zoïde est abrité dans un exosquelette constitué de chitine et de calcaire. La couche chitineuse est la plus externe. La couche calcaire est comprise entre l’épiderme et la couche chitineuse. Ce squelette externe est continu pour tous les individus de la colonie.
Excepté sa partie proximale brièvement calcifiée (1) , la face frontale de l’individu est membraneuse. Elle porte à l'avant un opercule par lequel ressort le panache tentaculaire (le lophophore), lorsque l'animal veut se nourrir. Quelques épines (plus ou moins une demi-douzaine) entourent cet opercule. Les faces latérales et dorsales des individus sont calcifiées.
Cette espèce se présente sous la forme d’un petit buisson dense de 1 à 1,5 cm de hauteur, ramifiés dichotomiquement, en forme de V.
Chaque branche est fragmentée en entre-nœuds de 6 à 10 individus séparés par des joints constitués de chitine, ayant la forme d’un disque. Une ramification est ainsi formée par l'accolement de deux séries d'individus.
La colonie est attachée au substrat par des filaments fixateurs appelés rhizoïdes. Dans une colonie, les individus peuvent se spécialiser pour une fonction (nourriture, défense, incubation des œufs) servant à la colonie entière. Les ovicelles par exemple, sont les individus spécialisés dans l'incubation des œufs et des larves. Ils sont un peu dissymétriques par rapport au grand axe, ont un diamètre de 0,15 à 0,16 mm et leur surface est ornée de quelques pores disposés selon 2 ou 3 arcs de cercle concentriques autour de l'orifice.
Les aviculaires sont des individus spécialisés dans la défense et le nettoyage des colonies. Les aviculaires sont portés sur les côtés de la colonie. Ils sont en fait implantés et sessiles sur des individus « normaux », les zoïdes, à partir desquels ils sont bourgeonnés. Les aviculaires sont en forme de becs d'oiseaux de 1,15 à 0,30 mm de long.
A mi-longueur du zoïde, du côté interne, est implantée une épine particulière et isolée, le scutum, de forme très variable (simple, bifide, trifide ou plus ramifiée encore ou en éventail).
Ces colonies arborescentes présentent diverses formes. A l’œil nu, elles ressemblent à une mousse aquatique à l’origine du nom de bryozoaires ou animaux-mousses.

Biologie

La colonie vit fixée sur des supports flottants, notamment des bouées, mais aussi des pieux, des docks, parfois des substrats vivants tels que les coquilles de mollusques, des ascidies ou des spongiaires. La colonie vit toujours dans des eaux peu profondes comprises entre 0,5 et 1,5 m, parfois moins. En mer du Nord, elle se rencontre aussi sur des algues (De Blauwe, 2009).
Cette espèce se développe en milieu estuarien soumis à l'influence marine, par une température de l'eau comprise entre 16° et 25°, et une salinité variant de 30 à 35 pour mille.
Tricellaria inopinata se nourrit de microorganismes, de phytoplancton. C’est un animal filtreur.

Reproduction et propagation

Lorsque Tricellaria inopinata apparaît dans une région donnée, c'est d'abord en milieu portuaire, en un secteur limité. Elle se propage ensuite de proche en proche, par saltation à partir de son site d'introduction.
Sa propagation s'effectue essentiellement grâce à la navigation commerciale ou de plaisance. A partir de colonies transportées fixées sur des coques de navires, ou rejetées avec des eaux de ballast, elle pond des larves dans son lieu d’arrivée. La longévité des larves est réduite à quelques heures, ce qui lui interdit d'aller se métamorphoser par ses propres moyens à distance de son lieu de ponte. D'autant plus que chez ces animaux, la nage est peu active. La propagation de l'espèce est donc essentiellement passive. Après quelques heures de vie libre, elle se fixe à un substrat, subit une métamorphose qui la transforme en « ancestrula », individu fondateur d'une nouvelle colonie et qui bourgeonnera les premiers zoïdes. Ceux-ci prennent ensuite le relais pour bourgeonner à leur tour des individus-fils de seconde génération, et ainsi de suite.

Difficultés d’identification, modalités d’introduction et répartition

Tricellaria inopinata fut longtemps confondue avec deux autres espèces de Tricellaria indo-pacifiques (T. occidentalis et T. porteri). Sa validité a encore été mise en doute durant les premières années qui ont suivi sa description, avant d'être définitivement confirmée (Dyrynda & al., 2000). Lors de sa description, il existait déjà dans différentes collections des spécimens typiques de T. inopinata sous la détermination erronée de T. occidentalis. C'est donc une espèce qui n'a été décrite que récemment, en 1985, à partir d'une population introduite en Europe.
Tricellaria inopinata est originaire de l’océan Pacifique. T. inopinata a été signalée en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Japon.
En Europe, sa première observation a été réalisée en 1982, dans la lagune de Venise. Des colonies ont été repérées, fixées sur des pieux balisant les contours de la région navigable entre la mer et l'intérieur des terres. En 1985, 15 stations étaient dénombrées autour du Lido et du canal de la Giudecca qui borde le centre historique de Venise (d'Hondt & Occipinti Ambrogi, 1985 ; Occhipinti Ambrogi, 1991). Après une période d'extension d'une quinzaine d'années, elle a commencé à régresser sur place en 2000, tandis que son aire de distribution continuait de s'accroitre par ailleurs, gagnant graduellement une grande partie des côtes européennes en zone tempérée. Il semble donc exister un phénomène de régulation naturelle.
T. inopinata a été observé sur les côtes espagnoles de la Galice à partir de juin 1996 (Fernandez-Pulpeiro & al., 2001 ; Reverter-Gil & Fernandez-Pulpeiro, 2001), dans une localité où des palourdes d'origine méditerranéenne, ont été probablement importées d'Italie. On la retrouve ensuite en différentes localités du nord de l'Espagne.
C'est également à partir de 1996 qu'elle a été observée en différents points de la côte sud de l'Angleterre (Dyrynda & al., 2000). En l'an 2000, elle a été recueillie en plusieurs points des côtes basque, belge et néerlandaise (De Blauwe & Faasse, 2001), puis dans le Bassin d'Arcachon (De Blauwe, 2001). Sa présence a été relevée l'année suivante en Normandie (Breton & d'Hondt, 2005) et plus récemment, en 2008 et 2009 dans le Golfe du Morbihan (A. Le Roux, communication personnelle). Elle a été récoltée en Tunisie (Ben Souissi, 2006, communication personnelle) et au Portugal (Marchini & al., 2007). Elle ne semble pas avoir encore atteint, les côtes méditerranéennes françaises, espagnoles, ou algériennes.

B. Impacts

Tricellaria inopinata ne représente pas une gêne pour les espèces autochtones et les activités anthropiques. Cependant, au vue de ses capacités d’expansion, la prévention est actuellement le seul moyen connu pour contenir sa prolifération.

Capacité de colonisation

La prolifération et l'extension de l'aire géographique colonisée par Tricellaria inopinata sont a priori illimitées, dès que les conditions éco-physiologiques (température, salinité, turbidité, brassage) leur sont favorables en zone tempérée.
La colonisation se fait par étapes à partir du foyer d'introduction primaire, puis de foyers secondaires, essentiellement par des échanges d'espèces de mollusques comestibles entre différents bassins, des déplacements de port en port de bateaux de plaisance, ou de la navigation commerciale.
D'autre part, aucun prédateur de ce bryozoaire n'est actuellement connu en Europe. Il n'a pas été mis en évidence de compétition entre T. inopinata et d'autres espèces autochtones appartenant, comme les Tricellaria, à la famille Candidae, dans une même niche écologique. Cependant, cette compétition entre espèces n'est pas à exclure puisque certains bryozoaires européens indigènes colonisent les mêmes biotopes.

Impacts

L'impact de ce bryozoaire apparaît a priori comme très limité. Il peut se traduire au maximum par un phénomène de dominance ou de remplacement potentiel, géographiquement localisé, d'une espèce autochtone de mêmes exigences éco-physiologiques. Cela ne se traduira pas forcément par une modification du nombre d'espèces dans la biodiversité locale.
Une telle substitution, ou même simplement une telle introduction, sont sans conséquences sur l'activité socio-économique de la région concernée.
Il n’est pas envisagé de l’exploiter puisqu’elle est, à priori, non consommable par l'homme et la plupart des animaux.
Les déchets excrétés par Tricellaria inopinata sont négligeables et ne sont pas de nature, aussi bien qualitativement que quantitativement, à perturber ou polluer l'environnement.
Les seules nuisances de cette espèce, si elle est sujette à une prolifération importante, de la même façon que les autres espèces du "fouling", seraient de contribuer à la salissure des coques de navires. Ce « fouling » a pour conséquences un ralentissement de leur déplacement pour des raisons mécaniques, leur corrosion, et une augmentation du coût et du temps de nettoyage.
Pour le moment, aucune gêne ne semble devoir être imputable à T. inopinata, car elle ne constitue nulle part une biomasse très importance. Il ne semble donc pas justifié de s'en préoccuper dans le cadre d'une lutte biologique.

La prévention

Les transferts de stocks d’organismes pour l’aquaculture ainsi que les bateaux en provenance de zones contaminées doivent être systématiquement contrôlés.

C. Perspectives et recherches

A l’heure actuelle, il s'avère opportun de mieux connaître Tricellaria inopinata au vue de ses capacités d'expansion, imprévues à l'origine et devenant imprévisibles. Les publications existent déjà, mais les perspectives de recherches restent encore vastes.
Actuellement, les scientifiques ont identifiés plusieurs perspectives de recherche.
Tricellaria inopinata est en premier lieu un excellent modèle pour l'étude chronologique et la datation de phénomènes invasifs en milieu littoral. Effectivement cette ascidie est facile à identifier et à récolter. Aussi, les premières données historiques sur son extension sur les côtes européennes sont disponibles et facilement accessibles. Il serait utile de continuer à suivre son installation dans les régions d'Europe et de surveiller son arrivée dans les pays péri-méditerranéens, où elle n'est pas encore signalée.
Il serait également intéressant d'approfondir les connaissances sur ses vecteurs matériels et éco-physiologiques de propagation ainsi que ses facteurs limitants. Ces recherches doivent logiquement s’articuler avec une étude du rythme de développement des colonies, de leur multiplication, de la longévité et des capacités de résistance des larves aux différents facteurs contraignants possibles, ainsi que des conditions climatiques qui favorisent la ponte larvaire.
Plusieurs publications ont déjà gradué l'évolution des connaissances sur cette espèce (Occhipinti Ambrogi & d'Hondt, 1993 ; Dyrynda & al., 2000 ; d'Hondt, sous presse a et b). Il s'avère maintenant nécessaire de mieux connaître T. inopinata au vue ses capacités d'expansion, imprévues à l'origine et devenant imprévisibles par la suite. De premières études de polymorphisme enzymatique (variations moléculaires des enzymes entre individus de populations différentes) ont été réalisées sur T. inopinata dans le cadre d'une collaboration entre le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris et l'Université de Pavie (d'Hondt, Occhipinti Ambrogi & Goyffon, 2003). Elles ont révélé de profondes affinités entre les populations japonaises et italiennes, mais sans avoir pu être étendues à des individus d'autres origines géographiques, des côtes pacifiques et européennes. Il serait intéressant d'entreprendre sur ce modèle des recherches complémentaires faisant intervenir des méthodes plus actuelles de biologie moléculaire, et notamment en génétique, afin de préciser l'origine exacte dans l'Indo-pacifique de la population vénitienne, et de déterminer si les colonisations actuelles en Europe relèvent ou non d'une même souche originelle. Ce qui permettra de démontrer s'il y a eu une seule introduction sur nos côtes, ou une colonisation multiple caractérisée par plusieurs introductions successives d'origines diverses selon les aires géographiques affectées en Europe (Italie, France, Grande-Bretagne, etc.).

Rédigé par Jean-Loup d'Hondt (MNHN) en collaboration avec Julie Pagny (GIP BE).

D. Références

Breton G. & d'Hondt J.L. (2004, paru 2005). Tricellaria inopinata d'Hondt et Occhipinti Ambrogi, 1985 (Bryozoa : Cheilostomatida) dans le port du Havre (Manche orientale). Bull. Soc. géol. Normandie et Amis du Muséum du Havre, 91 (2) : pp 67-72.
De Blauwe H. (2001). Determinatie en verspreiding van Tricellaria inopinata d'Hondt & Occhipinti Ambrogi (Bryozoa, Cheilostomatida), een recente immigrant uit het boorden van de Stille Oceaan. Het Zeepard, 62 (3) : pp 73-88.
De Blauwe H. (2009). Mosdiertjes van de Zuidelijke Bocht van de Noordzee. Vlaams Instituut voor de Zee, Ostende, 464 p.
De Blauwe H. & Faasse M. (2001). Extension of the range of the Bryozoans Tricellaria inopinata and Bugula simplex in the North-East Atlantic Ocean (Bryozoa : Cheilostomatida). Nederl. Faunist. Mededel, 14, pp 103-112.
Dyrynda P.E.J., Fairall V.R., Occhipinti Ambrogi A. & d'Hondt J.-L. (2000). The distribution, origins and taxonomy of Tricellaria inopinata d'Hondt & Occhipinti Ambrogi, an invasive bryozoan new to the Atlantic. J. Nat. Hist., 34 : pp 1996-2006.
Fernandez-Pulpeiro E., Cesar-Aldariz J. & Reverter-Gil O. (2001). Sobre la presencia de Tricellaria inopinata d'Hondt & Occhipinti Ambrogi, 1985 (Bryozoa, Cheilostomatida) en el litoral gallego (N.O. Espana). Nova Acta Cien. Compostelana (Biol.), 11 : pp 207-213.
Hondt J.L. d' (sous presse, a). Les introductions et transplantations de Bryozoaires exotiques. In : Plantes et animaux voyageurs, M.-F. Diot & B. de Foucault (eds.), Editions du CTHS, Paris (congrès annuel 2005 du CTHS à La Rochelle).
Hondt J.L. d' (sous presse, b). Bryozoaires invasifs : quelques exemples. Bull. Soc. Sc. Hist. Nat. Corse.
Hondt J.L. d' (1999). Les invertébrés marins méconnus. Editions de l’Institut Océanographique, Paris, 445 p.
Hondt J.L. d' & Occhipinti Ambrogi A. (1985). Tricellaria inopinata n. sp., un nouveau Bryozoaire Cheilostome de la faune méditerranéenne. P.S.Z.N.I.: Marine Ecology, 6 (1): 35-46.
Hondt J.L. d', Occhipinti Ambrogi A. & Goyffon M. (2003). Etude comparée du polymorphisme électrophorétique chez deux familles de Bryozoaires Cellularines : les Candidae et les Bugulidae. Bull. Soc. zool. Fr., 138 (3) : 161-183.
Marchini A., Cunha M.R. & Occhipinti Ambrogi A. (2007). First observations on bryozoans and entoprocts in the Ria de Aveiro (N W Portugal) including the first record of the Pacific invasive cheilostome Tricellaria inopinata. Mar. Ecol., 28 (suppl. 1): 154-160.
Occhipinti Ambrogi (1991). The spread of Tricellaria inopinata into the lagoon of Venice: an ecological hypothesis. In: Bryozoaires actuels et fossiles: Bryozoa living and fossil, F.P. Bigey & J.-L. d'Hondt (eds.), Bull. Sc. Nat. Ouest Fr., Mém. H.S. 1: 299-306.
Reverter-Gil O. & Fernandez-Pulpeiro E. (2001).- Inventario y Cartografia de los Briozoos marinos de Galicia (N.O. de Espana). Monografias de NAAC, Bioloxia, 1, Universidade de Santiago de Compostela : 1-243.

(1) Qui a subit une calcification.