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Dernière modification le 05 mai 2008


L'huître creuse du Pacifique (Crassostrea gigas)

Crassostrea gigas, (Thunberg, 1793), appelée « huître creuse du Pacifique » ou « huître japonaise », est un cas particulier parmi les espèces introduites marines puisqu’elle fut introduite volontairement à travers le monde, à des fins économiques. L’espèce est aujourd’hui très bien adaptée aux conditions naturelles de la Manche et de l’Atlantique. Lorsqu’elle prolifère, Crassostrea gigas cause des problèmes écologiques et économiques. Actuellement, son invasion reste incontrôlée et les possibilités de gestion restent limitées à des actions très ponctuelles.


A. Description, biologie, origine et répartition

Crassostrea gigas fut introduite pour l’ostréiculture à la fin des années 1960. Cette espèce s’est rapidement acclimatée aux conditions environnementales locales. Cette acclimatation s’est rapidement traduite par l’installation progressive et durable de populations sauvages en dehors des zones de production.

Description

Crassostrea gigas est un mollusque bivalve qui mesure en moyenne 15 cm de long. Les plus gros spécimens peuvent atteindre 30 cm de long. Crassostrea gigas peut vivre jusqu'à 10 ans.
La coquille très polymorphe est globalement allongée et ovale et comporte de nombreuses arêtes concentriques et coupantes. La valve supérieure est plate. La valve inférieure est plus creuse et fixée au substrat dur. Sa coloration est gris brunâtre, avec parfois des marques violacées. L'intérieur de la coquille est lisse et blanc mat.

Elle vit plutôt le long des côtes abritées, dans la zone des marées, même dans des eaux peu salées. Elle supporte bien les variations de salinité. Hors de l'eau, elle peut survivre une semaine en hiver, un peu moins l'été.
A l'état sauvage, elle vit dans la zone intertidale où elle colonise tous les substrats rocheux intertidaux, en milieu plutôt abrité (roche, blocs, cailloutis) mais également les structures ostréicoles laissées à l’abandon ou les infrastructures marines (cale, jetée).
Des populations sauvages sont également observées sur le substrat meuble, dans les zones de vasière. Dans ces milieux les larves se fixent sur des coquilles et petits cailloutis en surface de la vase, puis en grandissant ces huîtres deviennent à leur tour des supports pour les fixations de naissain. C’est ainsi que de véritables récifs se développent dans de nombreuses ria en Bretagne. Les huîtres s’installent aussi sur les moules, pour former des récifs en Mer du Nord (Markert et al. 2009).

Régime alimentaire

Crassostrea gigas est un mollusque suspensivore. L'huître filtre l'eau de mer et absorbe les organismes planctoniques dont elle se nourrit. Les algues phytoplanctoniques sont sa principale nourriture.
Elle peut filtrer plusieurs litres d'eau de mer par heure. Les particules dont elle se nourrit sont retenues par les cils sur les branchies et transporté vers la bouche.

Reproduction

L'huître creuse est hermaphrodite protandre, c’est-à-dire qu’elle est mâle la première année puis change de sexe.
Sur les côtes atlantiques, la reproduction a lieu en été. La femelle libère des millions d'œufs qui seront fécondés en pleine eau. Les femelles peuvent produire jusqu’à 60 millions d'œufs par ponte, ce qui donne souvent à l'eau une apparence laiteuse (Gérard, 1998). La ponte a lieu une ou plusieurs fois par été lorsque la température de l’eau est supérieure au seuil de 18°C (Mann 1979). La fécondation est externe. Les larves vont dériver avec la masse d’eau pendant environ trois semaines avant de se métamorphoser en jeunes individus, et se fixer sur le substrat.
La croissance de l’huître est très variable, elle peut être très rapide, mais en moyenne, elle croit de 2,5 cm par an.

Modalités d'introduction et répartition

En France, l’introduction de Crassostrea gigas a débuté à la fin des années 1960, pour remplacer l’huître creuse portugaise, Crassostrea angulata, alors décimée par deux maladies d’origine virale (Comps et Duthoit 1976, Comps et al. 1976).
Dans le cadre du programme « Resur », 562 tonnes d’huîtres adultes ont été importées du Canada entre 1971 et 1975, ainsi que 10 000 tonnes de naissains en provenance du Japon de 1971 à 1977 (Grizel et Heral 1991).
Les premières observations en milieu naturel ont lieu à Marennes-Oléron et Arcachon, en 1975 (Grizel et Heral 1991). Depuis le milieu des années 1990, les épisodes de reproduction se sont multipliés dans les sites plus au nord, jusqu’au golfe normano-breton.
Les secteurs bretons les plus colonisés sont la Baie de Saint-Brieuc, la Rade de Brest, de Lorient à la Baie de Bourgneuf avec des densités pouvant atteindre plusieurs centaines d’huîtres par mètre carré (Lejart, 2009).
Plusieurs paramètres expliquent la distribution de Crassostrea gigas sur les côtes bretonnes :
- la présence de zones de production ostréicole représente une source de diffusion des larves d’huîtres au début du phénomène de prolifération (Lejart, 2009) ;
- les courants marins, induits par la marée et le vent influencent la distribution des huîtres en déterminant la direction et la distance de dispersion des larves (Ellien et al. 2000) ;
- une eau suffisamment chaude (18°C en été) permet de déclencher le phénomène de reproduction (Lejart, 2009).
- Depuis le début des années quatre vingt dix, l’augmentation de la température moyenne des eaux côtières et l’augmentation de la fréquence des épisodes chauds en été, induit par le changement climatique global, ont progressivement permis la reproduction dans presque tous les sites ostréicoles français et en particulier en Bretagne, d’où l’invasion récente des côtes.

B. Impacts

Crassostrea gigas se trouve à la limite des conditions naturelles de sa reproduction. En conséquence, le risque écologique de sa dispersion n’avait pas été initialement envisagé. Depuis une dizaine d’années, sa prolifération induit des conséquences écologiques sur son écosystème hôte et sur les activités humaines.

Capacité de colonisation

Le développement de Crassostrea gigas est favorisé par plusieurs facteurs :
- des introductions multiples d'un grand nombre d'individus à intervalles réguliers ;
- des facultés d’adaptation en eau saumâtre comme en milieu marin favorisant leur dissémination ;
- des translocations entre bassins ostréicoles ;
- une phase larvaire de trois semaines qui permet une dissémination sur de longues distances.

Impacts

Les colonies d’huîtres sauvages vont parfois jusqu’à former des récifs très denses. Des poids frais de plus de 45 kg par m² ont été observés. Elle occasionne des impacts d'ordre économique et écologique.

Impacts écologiques

Les impacts écologiques sur l’écosystème hôte sont :
- à petite échelle spatiale, lorsque les huîtres se développent en récif, elles modifient le peuplement autochtone en augmentant les abondances, les biomasses et le nombre d’espèces. En effet, les huîtres créent un habitat très différent des roches, avec de nombreuses anfractuosités, aussi très hétérogène, qui permet à de nombreuses espèces de s’abriter. Cependant, ce type d’habitat récif se surimpose aux autres habitats intertidaux, entrainant une homogénéisation et une banalisation à grande échelle sur le littoral.
- une modification de l’habitat, particulièrement sur substrat meuble et dans des eaux calmes (les pelotes fécales et l’activité de filtration des huîtres génèrent une quantité importante de biodépôts (Boudouresque, 2005)) d’où un envasement et un enrichissement organique favorisant l’eutrophisation ;
- l’introduction d’espèces associées : une trentaine d’espèces animales et d’algues ont été introduites involontairement avec Crassostrea gigas (Gruet et al. 1976).

Impacts économiques

Pour les ostréiculteurs, C. gigas sauvage représente un risque de compétition trophique ou alimentaire avec les huîtres en élevage, ainsi qu’un surplus de travail et de coût générés par le nettoyage des installations ostréicoles (Le Roux et Boncoeur 2006). Cependant, ils peuvent capter eux-mêmes le naissain dans les zones où elle se reproduit, évitant ainsi l’achat à des écloseries.
Pour les palourdiers, la présence de l’huître creuse dans leurs vasières représente un surplus de travail car ils doivent trier leurs prises.
Pour le tourisme et la plaisance, ces huîtres tranchantes représentent un danger de coupure pour les hommes et de dégâts pour le matériel nautique.
Cependant, les pêcheurs à pieds récoltent abondamment cette espèce.

C. Gestion

Malgré l’ampleur du phénomène, aucune mesure efficace n’a été trouvée pour gérer cette invasion à grande échelle.
La convention sur le droit de la mer (1982) demande aux Etats de prévenir, réduire et contrôler l’introduction intentionnelle ou accidentelle d’espèces dans le milieu marin.
La directive européenne « Habitats » (92/43/CEE) va dans le même sens. Dans le cadre du projet de loi relatif à la protection de l’environnement, un article (adopté par le Sénat le 14.10.1994) l’a transcrit en prohibant l’introduction dans le milieu naturel d’espèces exogènes.
Dans le milieu naturel, Crassostrea gigas peut être régulée par :
- des prédateurs : l'étoile de mer, la daurade, le bigorneau-perceur, les goélands argentés et l'huîtrier-pie ;
- des parasites : Bonamia ostrea (2 à 4 microns) est un petit parasite intracellulaire. Il peut provoquer des mortalités importantes, en particulier chez les huîtres adultes ;
- la température : des températures de l’eau trop basses, ne dépassant jamais 18°C, empêchent la reproduction ;
- un substrat inadapté : un substrat recouvert d’algues ne diminue la fixation des larves.
Mais, ces facteurs ne sont pas susceptibles de limiter l’invasion naturellement. Manipuler ces facteurs ne sont ni souhaitables d’un point de vue environnementale, ni envisageables techniquement.
Les pistes de réflexion pour une gestion à grande échelle sont aujourd’hui limitées par les coûts trop élevés du ramassage, transport et valorisation des produits coquille et chair. Les experts s’accordent à dire que les seules opérations envisageables ne peuvent être que limitées dans le temps et l’espace (une plage, un quai, un parc ostréicole…). Ces opérations ponctuelles se font par ramassage ou destruction, tant mécanique (en milieux sédimentaire) que manuel (en substrat rocheux). Elles sont réalisables d’un point de vue technique et financier et sans impacts négatifs majeurs sur l’écosystème marin. Des expérimentations pour tester ces actions de gestion ont été menées en rade de Brest (Hily et Larzillière, 2009).
La gestion de l’invasion de C. gigas est un problème complexe à résoudre pour les scientifiques. En effet, dans le cas de C. gigas, l’éradication est une solution difficilement envisageable car c’est une espèce comestible dont l’exploitation génère des revenus importants. Il n’est donc pas possible d’interdire la culture de cette espèce. D’autant plus que cela ne serait pas une solution pour enrayer l’invasion car si les populations cultivées ont représenté les premières sources de diffusion des larves d’huîtres, les populations sauvages se reproduisent désormais et sont donc devenues quasiment indépendantes des stocks exploités (Hily, 2009).

D. Perspectives et recherches

Face aux pertes conséquentes engendrées aux pêcheries, les responsables locaux et les chercheurs recherchent des pistes pour réguler ou valoriser Crassostrea gigas.
En 1997, l'Ifremer pour permettre la vente estivale, et diminuer les mortalités des huîtres qui se reproduisent, a mis au point l'huître triploïde ou huître des 4 saisons. Ces huîtres sont stériles et ne produisent donc pas de laitance pendant les mois dits sans "r". Cependant le contrôle de la reproduction des stocks exploités ne permettra pas une limitation importante des stocks sauvages qui se reproduisent également.
Dans le cadre du programme national LITEAU II, le programme PROGIG (PROlifération de crassostrea GIGas) a été initié au laboratoire des Sciences de l’environnement LEMAR de l’IUEM (Université de Bretagne occidentale, Brest), en 2005. PROGIG avait pour objectifs de dresser un bilan actualisé de la colonisation des côtes Manche- Atlantique par C. gigas, d’analyser les conséquences écologiques et économiques, et de rechercher des moyens de gestion appropriés (Hily, 2009).
En 2009, M. Lejart a rédigé une thèse au Lemar dans le cadre de ce programme PROGIG. Cette thèse avait pour objectifs de comprendre le processus invasif, les causes de l’invasion de C. gigas en Bretagne, et d’en étudier la dynamique et les conséquences écologiques et socio-économiques. Cette étude met en avant que l’impact de C. gigas sur les communautés intertidales semble pour le moment assez limité en Bretagne. Cependant, le processus invasif est toujours très actif, avec la conquête de nouvelles zones et la densification des peuplements dans les zones déjà colonisées, ce qui pourrait laisser craindre à terme un impact sur le milieu (banalisation de l’estran, envasement …). L’invasion des estrans par C. gigas se mondialise et peu de facteurs semblent pouvoir stopper le phénomène (Lejart, 2009).
En 2010, Christian Hily, dans le cadre de l’Observatoire du domaine côtier de l’Institut Universitaire Européen de la Mer, met en place un réseau d’observation de l’invasion en partenariat avec les gestionnaires d’espaces protégés de Bretagne. Avec un protocole standardisé et simple de mise en œuvre, les gestionnaires feront périodiquement les observations sur les recrutements, les mortalités et la dynamique invasive dans leur site. Le réseau pourra ainsi donner une vision régionale de la dynamique de l’invasion dans les prochaines années.

Rédigé par Julie Pagny (GIP BE) en collaboration avec Christian Hily (IUEM Brest).

E. Références

Comps M, Duthoit JL (1976) Infection virale associée à la « maladie des branchies » de l'huitre portugaise Crassostrea angulata Lmk. Comptes Rendus de l'Academie des Sciences. 283, 1595-1596

Ellien C, Thiebaut E, Barnay AS, Dauvin JC, Gentil F, Salomon JC (2000) The influence of variability in larval dispersal on the dynamics of a marine metapopulation in the eastern Channel. Oceanologica Acta 23: 423-442

Gérard A (1998) Avancées récentes sur la reproduction des huîtres. European Aquaculture Society Special Publication 26: 115-119

Grizel H, Heral M (1991) Introduction into France of the Japanese oyster (Crassostrea gigas).

ICES Journal of Marine Science 47: 399-403.

Gruet Y., Héral M. & Robert J.-M. 1976. Premières observations sur l'introduction de la faune associée au naissain d'huîtres japonaises Crassostrea gigas (Thunberg), importé sur la côte atlantique française. Cahiers de Biologie marine, 17: 173-184.

Hily C. 2009. Prolifération de Crassostrea gigas sur les côtes Manche-atlantiques françaises. Rapport final du programme de recherche PROGIG 2006-2009. Programme LITEAU II. Ministère de l’Environnement

Hily C. et Larzillière A. 2009. Réflexion sur les bases d'une gestion locale expérimentale de la prolifération de l'huître sauvage Crassostrea gigas en Rade de Brest dans le cadre d'usages de loisirs et de gestion d'espaces naturels littoraux protégés. In Rapport final Progig, Ministère de l’Environnement

Lejard M. (2009). Etude du processus invasif de Crassostrea gigas en Bretagne : Etat des lieux, dynamique et conséquences écologiques. Thèse de Doctorat Université de Bretagne Occidentale, Brest, Lemar, Institut Universitaire Européen de la Mer. 255 pages. Directeur de thèse C.Hily.

Le Roux J, Boncoeur J (2006) Impact de la prolifération de l’huître creuse sauvage sur les activités conchylicoles et la pêche à pied professionnelle en Bretagne : Etude économique. Rapport PROGIG.

Mann R (1979). Some biogeochemical and physiological aspects of growth and gametogenesis in Crassostrea gigas and Ostrea edulis grown at sustained elevated temperature. Journal of the Marine Biological Association of the United Kingdom 59: 95-110

Markert A, Wehrmann A, Kroncke I (2009). Recently established Crassostrea-reefs versus native Mytilus-beds: differences in ecosystem engineering affects the macrofaunal communities (Wadden Sea of Lower Saxony).