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Dernière modification le 05 mai 2008


La crépidule américaine (Crepidula fornicata)

Originaire d'Amérique du Nord, la crépidule américaine, Crepidula fornicata, (Linnaeus, 1758), a colonisé depuis une cinquantaine d'années la plupart des côtes de Bretagne. Aujourd’hui bien implantée et formant souvent des populations denses, la crépidule occasionne des gênes importantes aux pêcheries et induit de profonds changement d’habitat et des écosystèmes dans le milieu marin.


A. Description, biologie, origine et répartition

Crepidula fornicata, appelée la crépidule, forme des empilements d’individus attachés les uns sur les autres (appelés chaînes).

Description

La crépidule est un mollusque gastéropode qui mesure environ 5 centimètres maximum à l’état adulte. Sa coquille est légèrement spiralée. Elle forme des empilements réguliers où les individus plus jeunes vivent sur les individus plus âgés. Elle est fixée à un support par un pied qui sert de ventouse.
La crépidule colonise préférentiellement les zones conchylicoles de substrat hétérogène envasé.

Régime alimentaire

La crépidule est un mollusque suspensivore : elle filtre l'eau et capte les particules en suspension dont elle se nourrit. Son régime est très varié (matériel détritique, bactérien, phytoplancton…).

Reproduction et cycle de vie

La crépidule est un organisme hermaphrodite protandre : chaque individu naît mâle puis en vieillissant il devient femelle. Aussi, dans les empilements, les plus gros individus sont des femelles et les plus petits sont des mâles. Le mâle féconde les femelles avec son pénis et les embryons se développent en quelques semaines, d’abord dans le corps de la femelle puis à l’extérieur de celui-ci, mais protégés sous la coquille. Les larves sont ensuite libérées dans le milieu marin pendant deux à cinq semaines environ avant de se métamorphoser en jeunes individus, en réponse à des signaux chimiques (par exemple lié à la présence d’individus adultes), et se posent sur le substrat.

Modalités d'introduction et répartition

La crépidule est originaire d'Amérique du Nord. C’est l’ostréiculture qui involontairement en a été le vecteur principal. Elle fut introduite en Europe en 1872, à Liverpool, avec des stocks d'huîtres américaines. De là elle fut dispersée d’abord sur les côtes anglaises puis continentales et on la signala dès 1911 en Belgique. En France, elle a été signalée en rade de Brest en 1949. Par le transport d’huîtres plates, elle fut propagée vers le Nord (Morlaix, Saint-Brieuc) et vers le sud-Bretagne, dans les années 1950-60. Mais ce sont les importations d'huîtres japonaises, destinées à remplacer les huîtres portugaises malades dans les années 1970, qui aggravèrent l'implantation de la crépidule partout en France.
Si l’ostréiculture est le premier facteur de dispersion, la phase larvaire en est le deuxième facteur. Le troisième est l’activité de pêche aux arts traînants (dragues et chaluts).
Elle occupe dorénavant d’importantes surfaces dans les zones côtières abritées : 800 km² (25 % de la zone) en baie de Saint-Brieuc, 150 km² (61 % de la zone) dans la rade de Brest et 115 km2 (90 %) en baie du Mont Saint-Michel.
Les biomasses estimées s'élevaient à 250 000 tonnes en 1994 en baie de Saint-Brieuc. Elles sont actuellement de 210 000 t. en rade de Brest et 200 000 tonnes en baie de Cancale.

B. Impacts

Les capacités de colonisation de la crépidule sont telles que ce mollusque est encore en expansion et occasionne des nuisances importantes.

Capacité de colonisation

La prolifération et l’expansion de la crépidule semblent actuellement illimitées, favorisées par plusieurs facteurs:
- des introductions multiples d'un grand nombre d'individus ainsi que la reproduction entre individus de classes d'âge différentes permettant une plus grande diversité génétique ;
- des échanges entre bassins ostréicoles ;
- des pratiques de pêche aux engins traînants qui facilitent leur dispersion ;
- une phase larvaire qui permet une dissémination sur de longues distances ;
- des prédateurs rares et insuffisants ;
- une grande faculté d’adaptation ;
- de faibles exigences écologiques.

Impacts

La crépidule occasionne des impacts d'ordre économique et écologique quand ses densités sont élevées.

Impacts économiques

Les pêcheries (soles ou coquilles Saint-Jacques) et les élevages ostréicoles, sont actuellement largement concernées. La crépidule entre directement en compétition avec les mollusques filtreurs cultivés et sauvages pour l'espace et la nourriture. Elle serait également responsable d’un plus faible recrutement de jeunes soles du fait des modifications d’habitats qu’elle engendre.
La crépidule est installée dans les parcs ostréicoles ce qui augmente le coût de production des huîtres qu'il faut nettoyer avant leur commercialisation. Il faut également nettoyer régulièrement les concessions.
Les coquilles Saint-Jacques ou les soles, voient leurs gisements se réduire ou se déplacer, entraînant un déplacement des flottilles de pêche et un surcoût de carburant.
En rade de Brest, le coût de l'invasion de la crépidule a été estimé à 28 millions d'euros.

Impacts écologiques

Le développement de fortes populations de crépidule modifie la biodiversité du peuplement ; il provoque une modification importante des fonds marins colonisés engendrant des modifications de la composition des peuplements et une homogénisation de ces peuplements à grande échelle. Le peuplement prend une allure de récif où se fixent de nouvelles espèces, tandis que les espèces en place dans (ou sur) le sédiment initial disparaissent. Un nouveau type d’habitat benthique se crée.

La crépidule produit énormément de déchets issus de son métabolisme. Ces déchets, appelés biodépôts, provoquent un envasement du sédiment renforcé par les matières en suspension piégées. Le mélange des biodépôts vaseux et des coquilles mortes crée un nouveau type de sédiment noir et cohésif.
A l’échelle d’une baie, on observe une homogénéisation de l’écosystème.

C. Gestion

Face aux gênes conséquentes engendrées aux pêcheries, les responsables locaux et les chercheurs ont tenté de mettre en place des programmes de régulation et de valorisation du mollusque en Bretagne.
Un décret du 30/12/1932, toujours en vigueur, fait obligation aux professionnels de détruire la crépidule dans leurs établissements. Ce décret n’ayant pas été suivi des faits, la gestion de la prolifération est aujourd’hui urgente. Dans certaines zones, et notamment sur les sites ostréicoles, les densités de crépidules très importantes nécessitent le développement de techniques d’élimination variées.

La valorisation

De 2000 à 2006, le Comité Régional des Pêches Maritimes de Bretagne (CRPM) et la Section Régionale de la Conchyliculture (SRC) se sont associés au sein de l’Association AREVAL pour la REcolte et la VALorisation des crépidules en Bretagne-nord. Coordonnée par Côte d'Armor Développement, cette association a géré un programme de récolte et valorisation des crépidules en partenariat avec l'Ifremer. Il s’agissait de transformer le coquillage en amendement calcaire. Pour se faire, un navire sablier d'une capacité de 700 m3 a été affrété. Muni d'un « aspirateur hydraulique » et capable de travailler à de faibles profondeurs, ce navire a récolté 50 000 tonnes de crépidules entre 2002 et 2006, soit plus de 7 000 t/an. A terre, les crépidules ont été séchées et broyées et la poudre ainsi obtenue a ensuite été commercialisée pour l’agriculture en tant qu'amendement calcaire sous le nom de bicarbonate marin.
Dans ce programme, la récolte de la crépidule a fait l'objet d'un suivi par l'Ifremer, afin de mesurer l'impact de cette activité sur l'environnement marin (cartographie des zones traitées, prélèvements dans les traces…). Les résultats obtenus montrent notamment que la vitesse de recolonisation est relativement élevée en dépit des efforts de récolte.
D’autres programmes de récolte et de valorisation sont en cours de montage dans les deux baies de Saint-Brieuc et du Mont Saint-Michel. Comme la crépidule est comestible, une valorisation alimentaire est possible et permettrait une utilisation large. Certains restaurateurs l'ont déjà proposé dans leurs plateaux de fruits de mer et son utilisation dans l’industrie alimentaire est à l’essai.

D. Perspectives et recherches
La crépidule est au cœur de nombreuses thématiques de recherche.

La crépidule a fait l'objet de nombreuses recherches, tant sur les évaluations et la cartographie de stocks, que pour en connaître la biologie, la physiologie et l’impact sur l’environnement. Ainsi le premier programme Liteau, 1999-2002 a permis de comparer l’impact sur 4 sites (Baie de St Brieuc, rade de Brest, baie de Marennes, baie d’Arcachon) avec la participation de 4 laboratoires. Le programme Invabio lancé en 2002 a mis en commun les compétences des laboratoires de l'Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM-Brest) et de la Station Biologique de Roscoff. Cette mutualisation a permis d'obtenir des résultats dans plusieurs domaines :
- la connaissance des phénomènes invasifs côtiers ;
- l'évaluation des rapports coût/bénéfice de l'invasion de la crépidule sur les plans écologique et socio-économique ;
- la gestion du phénomène.
En 2003, le Ministère en charge de l’environnement a lancé un nouveau programme Liteau dont une des thématiques de recherche s’est intéressé à la crépidule sur plusieurs sites français, dont deux en Bretagne. Les chercheurs ont mis en évidence plusieurs facteurs de régulation naturelle. Il apparaît ainsi que les colonies anciennes et très denses sont moins favorables à l'installation de nouveaux individus. Cependant, ces phénomènes ne semblent pas limiter l'expansion de la crépidule ni ne sont généralisables à l’ensemble des zones colonisées. D’autres programmes de recherche soutenus par l’ANR et le GIS Europôle Mer se sont intéressés plus spécifiquement à la phase larvaire.

Rédigé par Julie Pagny (GIP BE) en collaboration avec Michel Blanchard (Ifremer) et Frédérique Viard (Station biologique de Roscoff).

E. Quelques références

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