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Dernière modification le 04 septembre 2011


La celtodoryx de Girard (Celtodoryx ciocalyptoides)

Celtodoryx ciocalyptoides (ex girardae) (Burton, 1935) est une éponge, décrite pour la première fois dans golfe du Morbihan en 1999. Elle semble avoir une dynamique de dispersion rapide, et depuis sa première observation, est devenue très abondante. C. girardae est un redoutable compétiteur pour l'espace qui s'étend sur d'autres invertébrés sédentaires tels que les gorgones ou d'autres éponges.


A.Description, biologie, origine et répartition

Celtodoryx ciocalyptoides est une éponge, que l’on retrouve dans les eaux du golfe du Morbihan et en ria d’Etel, sous deux formes. Les premiers spécimens décrits furent observés dans le Golfe du Morbihan en 1999.

Description

Celtodoryx ciocalyptoides est un spongiaire, une éponge. C’est un invertébré qui possède des pores, un porifère. C’est un animal sédentaire et sessile, qui vit sur un support. Bien qu’il puisse être de nature varié, ce support est impérativement solide.
Celtodoryx ciocalyptoides se rencontre sous 2 formes (morphotypes) :
- sous sa forme massive, elle recouvre le substrat en formant une masse. Elle fait 8 à 10 cm en moyenne, et jusqu’à 50 cm d’épaisseur. Cette espèce peut parfois, et uniquement dans le golfe du Morbihan, couvrir des zones dépassant un mètre carré. Sa surface est couverte de petits lobes. Elle est parfois camouflée par de nombreuses espèces épibiotiques (1). Ces formes arrondies semblent caractériser les individus âgés ;
- sous sa forme tapissante, rampante, elle caractérise plutôt de jeunes individus. Sa base est assez épaisse pour un spongiaire, de 3 à 4 cm.
Sa surface présente de petites anfractuosités, de petits creux, appelés des lobes, qui peuvent retenir le sédiment.

Elle est de couleur jaune franc, poussin, ce qui est très net pour les individus de faible profondeur (3 à 4 m). La couleur peut se ternir à partir de 15 à 20 mètres. La couleur jaune peut s’estomper et devenir grisâtre à cause du sédiment aggloméré, de plus la teinte peut varier en fonction de la population bactérienne associée. L’intérieur de l’animal est d’un jaune plus soutenu.
Lorsque les conditions lui sont favorables, elle peut atteindre une épaisseur de 50 cm et des volumes remarquables, jusqu’à 1 m3 (Perrin, 2002).
Elle présente une consistance très souple, « spongieuse », due en partie à son épaisseur importante et à une forte quantité de matières organiques dans ses tissus.
Dès la sortie de l’eau, elle émet une quantité très abondante de mucus, ce qui est un critère majeur de détermination sur le terrain. Elle n’a pas d’odeur caractéristique si ce n’est une très faible odeur iodée.
Cette éponge est suspensivore. Elle filtre des organismes dont la taille ne dépasse pas quelques microns. Le courant d’eau initié par l’éponge, circulant par ses orifices inhalants (ostioles ou pores) et exhalants (oscules), assure la double fonction nutritive et respiratoire.
Ce filtreur actif est capable de bioaccumulation, en particulier pour les métaux lourds, ce qui en fait un candidat potentiel pour les réseaux de bio-surveillance (bio-monitoring). En effet, elle développe des bio-indicateurs quand elle est soumise à un stress environnemental (thermique, PCB, métaux lourds, etc.) (Perrin, travaux en cours).
Enfin, elle présente un étonnant pouvoir de régénération.

Ecologie

Celtodoryx ciocalyptoides apprécie les milieux caractérisés par une forte turbidité et un hydrodynamisme marqué (entre 5 à 6 nœuds). Son substrat privilégié est constitué d’amas de blocs plus ou moins recouverts de sable et débris coquilliers.
On la retrouve préférentiellement dans la zone subtidale entre 2 à 20 m, bien que des individus aient été observés à – 38 m sur la faille du Crouesty, dans le Morbihan, et en zone intertidale dans le secteur de Locmariaquer. La répartition bathymétrique conditionne la taille de l’éponge :
- les spécimens de grande taille (entre 40 et 80 cm) sont tous répartis entre 4 et 8 m de profondeur ;
- au-delà de cette profondeur, les individus sont de taille plus modeste de 15 à 20 cm et sont plus dispersés. Au regard de sa répartition bathymétrique, la pression et la lumière sont les facteurs limitant la croissance de l’éponge (Perrin 2002).
Elle est absente dans les zones de très forts courants (supérieurs à 8 nœuds).
Sa présence est rare sur les tombants abrupts. Elle préfère une pente progressive.

Reproduction

La période de reproduction sexuée de cette éponge est mal connue et actuellement étudiée. La reproduction asexuée, par fractionnement, permet à cette éponge d'élargir ses sites de colonisation.

Modalités d'introduction et répartition

Cette éponge se développe dans des zones ostréicoles du Morbihan, ce qui laisse penser que c'est un facteur d'introduction possible, bien que les chercheurs n'aient actuellement aucune certitude.

Décrite initialement comme Celtodoryx girardae (Perez et al. 2006) elle a été re qualifiée récemment en C. ciocalyptoides, existant en mer de Chine qui serait donc le lieu d'origine de cette espèce (Henkel & Janussen 2011).
Depuis, des observations intra et extra golfe du Morbihan sont effectuées régulièrement. L’éponge a été recensée sur la faille du Crouesty par 38 m de profondeur (Gilard, 2004) et dans le bassin d’Arcachon (Limouzin, 2007, communication personnelle).
En 2002, C. ciocalyptoides est observée sur deux nouveaux sites situés à la sortie du golfe du Morbihan : la pointe de Bilgroix et le phare de Port-Navalo ; ainsi qu’au niveau de la faille du Crouesty, site en baie de Quiberon (Perrin, 2002 données personnelles).
Dans le golfe du Morbihan, sa répartition en 2004 et 2005, sur une zone de plus ou moins 4 km2 sur les sites suivants des Gorets, de Grégan, et de La Cale, met nettement en évidence une stabilisation de la population. Ce phénomène a aussi été observé en ria d’Etel, à la même époque.
De récentes plongées, en 2008-2009 sur des sites inhabituellement prospectés dans la partie orientale du golfe du Morbihan, ont révélé sa présence.
Actuellement, C. ciocalyptoides est dans une phase d’expansion et de colonisation au regard des résultats de suivis de biomasse mis en place sur le golfe du Morbihan.
Aucune observation n’a été faite sur les fonds des îles sud-armoricaines (Houât, Hoëdic, Groix, Belle Ile). Cependant, les campagnes de prospection sont moins importantes que pour le golfe et aucune campagne de recensement systématique n’a été effectuée pour ces sites au large.
Le statut de cette éponge se précise depuis l'étude de Henkel & Janussen (2011). Sur la base de plusieurs critères, cette éponge serait bien une espèce introduite car :

- elle est nouvelle dans l'aire considérée ;
- sa distribution est encore très localisée ;
- depuis sa première signalisation, sa dispersion dans l'espace s’effectue de manière rayonnante par rapport à un lieu, un point potentiel d’introduction initiale que serait le site des Gorets ;
- elle a tendance à proliférer ;
- il existe une source potentielle d'introduction, l’ostréiculture (notamment Crassostrea gigas), dans l'aire où elle a été découverte (Perez et al. 2006) ;
- la zone source semble être la Mer Jaune (Chine).

B. Impacts

Celtodoryx ciocalyptoides est un nouveau genre et une nouvelle espèce dans nos eaux côtières. Cette éponge inquiète de par sa vitesse de propagation et la compétition interspécifique qu’elle entretient avec les espèces autochtones.

Capacité de colonisation

Celtodoryx ciocalyptoides semble avoir une dynamique de dispersion rapide, et depuis les premières observations elle est devenue très abondante. Plusieurs individus sont aujourd’hui aisément identifiables, avec des tailles pouvant aller jusqu’à 50 cm d’épaisseur. Celtodoryx ciocalyptoides est capable de se régénérer, même si elle est écrasée.
Elle présente aussi une grande tolérance aux conditions du milieu, même dégradé.

Impacts

Impacts écologiques

Celtodoryx ciocalyptoides est un redoutable compétiteur pour l'espace et s'étend sur d'autres invertébrés sessiles notamment les gorgones (Eunicella verrucosa) ou d'autres éponges (Amphilectus fucorum, Haliclona (Haliclona) simulans) qu’elle englobe et ennoie. Ces espèces servent de support physique à son développement. Elle tend à homogénéiser la diversité spécifique des fonds marin et les rendre localement uniformément « jaunes », comme c’est le cas à la pointe sud des Gorets.
Cependant, cette éponge représente un support de développement pour les épibioses. Dans les zones à rhodophycées, elle peut être recouverte en partie par des algues rouges (Delesseria sp., Chondrus sp., Solieria chordalis par exemple), faisant à son tour office de support.
Elle abrite très fréquemment Pilumnus hirtellus, un petit crabe qui vit dans des galeries entre le rocher et la base de l’éponge. Deux échinodermes (2) Antedon bifida et Ophiothrix fragilis profitent des petits interstices de sa surface pour se protéger des courants. Ils ne laissent dépasser que leurs « bras » pour filtrer la masse d’eau.

Impacts économiques

Celtodoryx ciocalyptoides n’a pas encore causé d’impacts économiques. Cependant, au regard de son expansion, de sa taille, ainsi que sa capacité à filtrer une quantité extraordinaire d’eau en 24 h et à retenir jusqu’à 90 % des particules filtrées, la compétition alimentaire est réelle avec les autres filtreurs et notamment les huîtres cultivées en abondance dans le golfe du Morbihan. La filière ostréicole pourrait être impactée par une telle compétition interspécifique.

C. Gestion

Celtodoryx ciocalyptoides est une espèce nouvellement observée, dont le caractère envahissant pourrait être une menace. A l’heure actuelle, aucun moyen de lutte n'a été mis en place.

D. Perspectives et recherches

Les recherches portent d’une part sur les origines de cette espèce et d’autre part sur sa valorisation pharmacologique.
Actuellement, l’origine géographique de cette espèce semble bien être la mer de Chine. Les recherches renforcent l'hypothèse d’une nouvelle introduction, dans le golfe du Morbihan, déjà fortement colonisé par un certain nombre d'espèces exotiques (Afli & Chenier, 2002).
C. ciocalyptoides partage certaines caractéristiques des espèces typiquement introduites (Williamson & Fitter, 1996) : elle est nouvelle en Bretagne ; sa répartition actuelle est strictement localisée ; le golfe du Morbihan est exposé à plusieurs sources potentielles d’introductions comme l’aquaculture. Des huîtres plates Crassostrea gigas ont été importées du Japon et de Corée, avec son cortège potentiel d’espèces associées. La question reste en suspens puisque les faunes d’éponges y sont encore mal connus.
Les espèces introduites sont caractérisées par une forte tolérance aux conditions du milieu, même dégradé. Dans le golfe du Morbihan, les zones de colonisation de C. ciocalyptoides correspondent à des secteurs fortement dégradés par des sorties d’égouts, des activités de dragage, etc. (Afli & Chénier, 2002).
D'autres enquêtes sont nécessaires pour évaluer les éventuels effets de cette nouvelle espèce sur l’écosystème local et sur l'équilibre des communautés benthiques dans les zones colonisées (Perez et al., 2006).
Valorisation
Celtodoryx ciocalyptoides présente des intérêts économiques et pharmacologiques. En effet, elle produit des polysaccharides (des sucres) issus en particulier des bactéries qu’elle héberge. Ceux-ci présentent des propriétés anti-herpétiques (Mat Rashid, et al., 2009).

Comme bon nombre de spongiaires, C. ciocalyptoides pourrait être utilisée dans le cadre de bio-monitoring subaquatique, c’est-à-dire dans le cadre d'un réseau de suivi de la qualité du milieu, de l’eau. A l’heure actuelle, la moule sert de bio-indicateur. Celtodoryx ciocalyptoides pourrait être un excellent bio-indicateur de la qualité du milieu. Des dosages de métaux lourds ont été effectués sur les tissus de cette éponge et certains d’entre eux présentent une bioaccumulation (B.Perrin, 2008, communication personnelle).

Rédigé par Julie Pagny (GIP BE) en collaboration avec Bertrand Perrin (Université de Bretagne Sud / Université de Rennes I) et Sandrine Derrien (MNHN Station marine de Concarneau), François Siorat (GIP BE).

E. Quelques références

Afli A. & Chenier F. 2002. Etat de santé de la macrofaune benthique et rôle des espèces invasives dans le golfe du Morbihan (Bretagne, France). Vie et Milieu, 52: 43-57.

Daniela Henkel &Dorte Janussen 2011. Redescription and new records of Celtodoryx ciocalyptoides (Demospongiae: Poecilosclerida)—a sponge invader in the north east Atlantic Ocean of Asian origin? Journal of the Marine Biological Association of the United Kingdom, Marine Biological Association of the United Kingdom, 91(2), 347–355.

Mat Rashid Z., Lahaye E., Defer D., Douzenel Ph., Perrin B., Bourgougnon N., Sire O., 2009. Isolation of a sulphated polysaccharide from a recently discovered sponge species (Celtodoryx girardae) and determination of its anti-herpetic activity. International journal of biological macromolecules. International journal of biological macromolecules. Ed. Elsevier, Amsterdam, PAYS-BAS, pp. 286-293.
Perez Th., Perrin B., Carteron S., Vacelet J., Boury-Esnault N., 2006. Celtodoryx girardae gen. nov. sp. nov., a new sponge species (Poecilosclerida: Demospongiae) invading the Gulf of Morbihan (North East Atlantic, France). Cahiers de biologie marine, vol.47. Ed. de la station biologique, Roscoff, pp. 205-214.
Williamson M. & Fitter A. 1996. The varying success of invaders. Ecology, 77: 1661-1666.

(1) Espèces qui vivent à la surface d'un autre organisme

(2) Embranchement du règne animal comprenant par exemple les oursins, les étoiles de mer, etc.