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Dernière modification le 05 mai 2008


La grateloupe (Grateloupia turuturu)

Introduite accidentellement au début des années 1970 avec des naissains d’huîtres importés du Japon, l’algue rouge Grateloupia turuturu, Yamada, 1941, s’est répandue sur les côtes européennes, des Pays-Bas au Portugal. Grateloupia turuturu, appelée communément la grateloupe n’est pas encore invasive en Europe, mais elle s’étend de proche en proche du Cotentin jusqu’à la Vendée. Cette espèce est remarquable par sa capacité à survivre dans des milieux présentant de grandes variations de la salinité.


Sommaire

Description, biologie, origine et répartition
Impacts
Gestion
Perspectives et Recherches
Références

A. Description, biologie, origine et répartition
La grateloupe est une algue rouge cosmopolite, que l’on rencontre dans pratiquement tous les océans du globe. Elle a proliféré grâce à certaines de ses caractéristiques intrinsèques (faculté d'adaptation, croissance rapide, mode de reproduction, dispersions marginale et par saut, …) et aux conditions favorables qu'elle a rencontrées sur nos côtes.

Description

Grateloupia turuturu, appelée plus communément la grateloupe, est une macroalgue rouge (de grande taille) appartenant taxonomiquement à l’ordre des Halymeniales et à la famille des Halymeniaceae dans le groupe des Floridées. Connue auparavant sous le nom de Grateloupia doryphora, des études moléculaires ont montré que la grateloupe européenne appartient à l’espèce turuturu, en provenance du Japon (Gavio & Fredericq 2002, Marston & Villalard-Bonhsack 2002). La grateloupe est une des algues rouges parmi les plus polymorphes. Le thalle (1), reconnaissable à sa texture douce et gélatineuse, se dresse à partir d'un axe très court (un stipe) porté par un crampon réduit. Une ou plusieurs lames, simples ou divisées se dressent à partir d'un même crampon. Un individu de grateloupe peut atteindre une longueur de 185 cm de long pour une largeur de 30 cm, ce qui fait d'elle la plus grande algue rouge d'Europe (Simon-Colin 2001).

Ecologie

La grateloupe colonise la partie supérieure de la zone intertidale (zone de balancement des marées), jusqu'au niveau moyen des basses mers de vive eau. Elle s’installe préférentiellement dans les cuvettes marines où l'eau subsiste à marée basse, en modes battus (déferlement des vagues et de la houle) et abrités.
La grateloupe se fixe sur des substrats solides en place ou mobiles : rochers, cailloux, coquillages. Elle présente une grande tolérance vis-à-vis de la température et la salinité.

Reproduction

La grateloupe se reproduit de manière sexuée, avec libération d’éléments de la reproduction (gamètes et spores). Trois générations se succèdent au cours du cycle de vie de la grateloupe : le gamétophyte (qui produira les gamètes males ou femelles), puis le carposporophyte (qui produira des carpospores) et enfin le tétrasporophyte (qui produira aussi des tétraspores). Toutes trois sont couramment présentes dans les populations bretonnes. La génération carposporophyte est microscopique et reste fixée sur le gamétophyte. Celui-ci et le tétrasporophyte présentent la même morphologie : individu macroscopique au long thalle.
Les deux types de spores sont les seuls agents de dissémination à courte distance de l’espèce.

Modalités d'introduction et répartition

La grateloupe a été probablement importée en Europe, sous forme de spores avec les naissains de l'huître japonaise Crassostrea gigas, comme ceci a pu être démontré dans les bassins de Thau et d’Arcachon (Verlaque et al. 2007). Elle a été découverte pour la première fois en France en 1982 dans l'étang de Thau. En Bretagne, elle fut identifiée en 1989 à Fort-Bloqué (Morbihan) puis en 1992 à Carantec (Finistère). L'identification de nouvelles stations (Croisic où elle a été éradiquée par la pollution pétrolière de l'Erika, puis Concarneau, Brest, Granville et Cherbourg) confirme l'extension actuelle de cette nouvelle espèce (Simon-Colin et al. 2001).
En 30 ans, la grateloupe a colonisé les côtes atlantiques des Pays-Bas au Portugal, ainsi que la Méditerranée orientale française, où on la retrouve dans les chenaux de communication entre les lagunes et la mer, et les avant-ports (Verlaque et al. 2009). En Bretagne, la grateloupe colonise les milieux rocheux, sableux, présentant un écoulement d’eau, ainsi que les pontons de ports de plaisance. Dernièrement, la grateloupe a été observée dans la lagune de Venise (Verlaque et al. 2009). Ces deux localisations très éloignées témoignent de la grande tolérance de la grateloupe vis-à-vis du milieu qu’elle colonise.
Les différentes caractéristiques de la grateloupe permettent de mieux comprendre le succès que rencontre cette algue sur nos côtes :
- une croissance très rapide : en été, il a été observé des thalles atteignant une taille de 1,50 à 2 mètres en milieu abrité (Simon-Colin et al. 1999a),
- un pouvoir reproducteur élevé,
- une dispersion efficace des spores et des individus,
- une grande aptitude à la fixation sur n'importe quel support solide et mobile,
- une faculté d'adaptation importante.
Pourtant, dans son aire d’origine, la grateloupe ne prolifère pas autant, ce qui s’explique certainement par un phénomène de compétition entre espèces. Au Japon, plusieurs espèces d’Halymeniaceae coexistent et la taille moyenne des individus de grateloupe est de l’ordre d’une vingtaine de centimètres (Stiger, com. pers.).

B. Impacts

Depuis son apparition sur les côtes bretonnes dans les années 1990, l’abondance de l’espèce fluctue avec le temps, sans jamais vraiment devenir proliférante.
En Bretagne, nous avons assisté à une colonisation progressive de l'ensemble de la zone intertidale, la zone de balancement des marées. La grateloupe s'est ainsi installée à partir de l’étage médiolittoral (2) jusqu'au début de l'infralittoral (zone jamais découverte) et a colonisé également les cuvettes du haut de l’étage médiolittoral. C'est toutefois au niveau moyen de l'étage du médiolittoral qu'elle se développe le plus, notamment dans des écoulements enrichis en eau douce, salinité de 20 à 15 ‰ à basse mer (Simon-Colin et al. 1999, 2001), écoulements dans lesquels on observe une croissance rapide des pieds ainsi qu'une prolifération locale (jusqu'à 200 pieds/m2). Cette prolifération dans des environnements subissant des réductions à court terme de la salinité, ainsi que la dispersion de l'algue sur l'ensemble de la zone de balancement des marées laisse à supposer de fortes capacités physiologiques (Simon-Colin et al. 1999).

Capacité de colonisation

La dissémination de l’espèce a été favorisée par les facteurs suivants :
- transfert entre bassins conchylicoles,
- capacité élevée de dissémination par voie sexuée,
- capacité élevée de fixation sur divers supports, permettant ainsi sa dispersion longue distance,
- absence de prédateurs naturels sur nos côtes,
- capacité élevée à remporter la compétition pour l’espace en se fixant sur tous supports solides en lieu et place d’autres espèces.

Impacts

Impacts écologiques

La grateloupe n’est pas connue pour avoir causé d’impacts écologiques. Aucune élimination d’espèces concurrentes n’a encore été observée (Plouguerné 2006).

Impacts économiques

La grateloupe n’est pas connue pour avoir causé d’impacts économiques.

C. Gestion

La grateloupe est une espèce introduite mais non invasive en Bretagne, aucun moyen de lutte n'a donc été mis en place.

D. Perspectives et recherches

La dispersion de la grateloupe étant néanmoins préoccupante, la question de sa valorisation reste au cœur des problématiques de recherche.
Quelques articles et rapports scientifiques ont été publiés sur la grateloupe. Les avancées significatives concernent :
- la mise au point de technique de suivi de l’expansion,
- la biologie de l’espèce dans ses nouveaux secteurs d’implantation,
- la cinétique de la prolifération et l’explication partielle de son succès,
- conséquences sur la biodiversité,
- pistes de valorisation (Simon-Colin 2001, Plouguerné 2006, Denis 2008).
Des recherches ont été effectuées en vue de valoriser la grateloupe (osmolytes (3), pigments, pharmacologie, recherche de composés d’intérêts en agro-alimentaire et antifouling).
La grateloupe reste toujours un modèle d’étude pour de nombreux chercheurs.
En effet, sur une petite échelle de temps, cette espèce fournit des informations sur les mécanismes d’adaptation des espèces introduites, mis en place pour coloniser le milieu (Plouguerné 2006). La variabilité spatio-temporelle de variables d’état, de reproduction et de défense chimique de la grateloupe sont à l’étude afin de mieux comprendre la phénologie de l’algue à long terme. Un suivi des populations de grateloupes a été entrepris depuis 2001 en Bretagne par V. Stiger, et a été intégré dans deux travaux de thèse de Simon-Colin (2001) et Plouguerné (2006). En Méditerranée, les chercheurs tentent de comprendre l’origine des populations (Verlaque et al. 2005).
Ainsi, Grateloupia turuturu est une source intéressante de composés bioactifs originaux à activité antifouling (Plouguerné et al. 2006, 2007, 2008, Hellio et al. 2004), d’osmolytes (Simon-Colin et al. 2002, 2004) et de pigments de type phycoerythrine (Denis et al. 2009).

Rédigé par Valérie Stiger-Pouvreau (IUEM Brest) en collaboration avec Julie Pagny (GIP BE).

E. Références

Cabioch, J., Castric-Fey, A., L'Hardy-Halos, M.T. & Rio, A., 1997. Grateloupia doryphora et Grateloupia filicina var. Luxurians (Rhodophyta, Halymeniaceae) sur les côtes de la Bretagne. Cryptogamie Algol., 18: 117±137.

Denis C., 2009. Caractérisation de la composition biochimique de la macroalgue rouge Grateloupia turuturu; évaluation de ses potentialités de valorisation via un procédé de digestion enzymatique et la purification partielle d'un pigment d'intérêt (R-phycoérythrine). Thèse de Doctorat de l’Université de Nantes. Mention Biotechnologie marine.

Denis, C., Ledorze, C., Jaouen, P. & Fleurence, J., 2009. Comparison of different procedures for the extraction and partial purification of R-phycoerythrin from the red macroalga Grateloupia turuturu. Botanica Marina 52(3): 278-281.

Gavio, B. & Fredericq, S., 2002. Grateloupia turuturu (Halymeniaceae, Rhodophyta) is the correct name of the non-native species in the Atlantic known as Grateloupia doryphora. European Journal of Phycology 37: 349-360.

Hellio C., Simon-Colin C., Clare A.S. & Deslandes E., 2004. Isethionic acid and floridoside isolated from the red alga, Grateloupia turuturu inhibit settlement of Balanus amphitrite Cyprid larvae. Biofouling 20(3): 139-145.

Marston M. & M. Villalard-Bohnsack, 2002. Molecular variability and potential sources of Grateloupia doryphora (Halymeniaceae, Rhodophyta), an invasive species in Rhode Island waters (USA). J Phycol 38:659–658.

Plouguerné E., 2006. Étude écologique et chimique de deux algues introduites sur les côtes bretonnes, Grateloupia turuturu Yamada et Sargassum muticum (Yendo) Fensholt : nouvelles ressources biologiques de composés à activité antifouling.Thèse de Doctorat de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO). Mention : Chimie marine, 251p.

Plouguerné E., Kikuchi K., Oshima Y., Deslandes E. & Stiger-Pouvreau V., 2006. Isolation of Cholest-5-en-3-ol formate from the Red Alga Grateloupia turuturu Yamada and its chemotaxonomic significance. Biochem. Syst. Ecol. 34: 714-717.

Plouguerné, E., Hellio, C., Deslandes, E., Véron, B. & Stiger-Pouvreau, V., 2008. Anti-microfouling activities in extracts of two invasive algae: Grateloupia turuturu and Sargassum muticum. Botanica Marina 51: 202-208.

Plouguerné E. , Trepos R., Jechoux G., Lennon J.F., Deslandes E. & Stiger-Pouvreau V., 2007. An investigation of the presence and variations in abundance of UV-absorbing structures in Grateloupia turuturu Yamada (Halymeniaceae, Rhodophyta) from Brittany (France). Cryptogamie, Algologie 28(2) : 1-10.

Simon C., Ar Gall E., Levavasseur G. & Deslandes E., 1999. Effects of short-term variations of salinity and temperature on the photosynthetic response to the red alga Grateloupia doryphora from Brittany (France). Botanica Marina 42:437–440.

Simon C., Ar Gall E. & Deslandes E., 2001. Expansion of the red alga Grateloupia doryphora along the coasts of Brittany (France). Hydrobiologia 443: 23-29.

Simon-Colin C., Bessieres M-.A. & Deslandes E., 2002. An alternative HPLC method for the quantification of floridoside in salt stress cultures of the red alga Grateloupia doryphora. J. Appl. Phycol. 14: 123-127.

Simon-Colin C., Kervarec N., Pichon R. & Deslandes E., 2004. Purification and characterization of 4-methane sulfinyl-2-methylamino butyric acid from the red alga Grateloupia doryphora Howe. Phytochem. Rev. 3: 367-370.

Verlaque M, Bannock PM, Komatsu T, Villalard-Bohnsack M, Marston M., 2005. The genus Grateloupia C. Agardh (Halymeniaceae, Rhodophyta) in the Thau Lagoon (France, Mediterranean): a case study of marine plurispecific introductions. Phycologia 44:477–496.

(1) Appareil végétatif des plantes ne possédant ni feuille, ni tige, ni racine.

(2) L'étage médiolittoral est la partie du littoral de balancement des marées où il y a alternance d'immersions et d'émersions. Cet étage est délimité vers le haut par le niveau moyen des hautes mers de vive-eau et vers le bas par le niveau moyen des basses mers de vive-eau.

(3) Composés permettant à la plante de réguler son milieu intérieur : quand la salinité du milieu est faible (dilution par pluie ou autre), l algue relargue des osmolytes à l’extérieur pour éviter une entrée trop massive d’eau dans les cellules. Quand la salinité du milieu augmente (forte température et évaporation d’eau), l’algue accumule des osmolytes pour éviter une importante sortie d’eau de ces cellules.