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Dernière modification le 05 mai 2008


L'Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus)

Colonie d'Ibis sacré

Importé d’Afrique pour les parcs zoologiques, l’Ibis sacré qui a été laissé libre de vol, a progressivement colonisé les zones humides proches des littoraux pour former des populations sauvages. A présent bien implanté en Bretagne, cet oiseau continue à augmenter ses effectifs et à inquiéter les gestionnaires d'espaces naturelles.


Un oiseau opportuniste

De grande taille, peu farouche, l’Ibis sacré s’est rapidement adapté à nos écosystèmes d’où il tire facilement ses ressources.

Description sommaire

L’Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus (Latham, 1790)) est un grand oiseau qui appartient à la famille des Threskiornithidés. Cette famille regroupe plusieurs espèces d’Ibis et tire son nom du genre : Threskiornis. La Spatule appartient également à cette famille.
L’Ibis sacré mesure environ 65 cm de hauteur et a une envergure de 124 cm. Il pèse environ 1250 à 1500 g et peut vivre jusqu’à 21 ans. Son plumage est entièrement blanc jaunâtre sauf les extrémités des plumes du bas du dos et des ailes qui sont noires. Son cou est également noir mais cette coloration est due à sa peau dénudée à cet endroit.
L’Ibis sacré est doté d’un long bec recourbé qui le rend facilement identifiable. Les mâles et les femelles sont semblables. Les juvéniles sont reconnaissables à leurs plumes qui ornent le cou et tombent à l’âge de 2 à 3 ans.

Habitat et comportement alimentaire

Dans son aire d’origine, l’Ibis sacré vit dans les prairies et les zones herbeuses dont il est fortement dépendant. Il occupe également les habitats d’eau douce, les marais, les zones estuariennes…
En Bretagne et dans ses aires d’introduction, ses préférences s’orientent vers des milieux similaires : les prairies plus ou moins humides, marais saumâtres, roselières…
Il s’est également adapté à d’autres milieux plus artificialisés comme les décharges d’ordures ménagères, les champs, les cours de ferme, les élevages, les tas de fumier ou les fosses à lisier. Des observations font mention de l’établissement de colonies en zones semi-urbaines, dans des jardins ou à proximité de parking.
L’Ibis sacré a un régime alimentaire très varié et opportuniste. La base constante de son régime semble être constituée d’insectes mais il peut se nourrir de poissons, de rongeurs, de mollusques, de crustacés, de larves d’amphibiens, d’œufs d’oiseaux. Une large part de son régime alimentaire est composé de déchets carnés.
C’est un oiseau grégaire qui se regroupe parfois avec d’autres espèces d’oiseaux pour s’alimenter.
Dans certains pays, on l’a vu se nourrir à la sortie des restaurants.
Les oiseaux se regroupent sous forme de dortoirs nocturnes qui peuvent regrouper des centaines d’individus.

Reproduction

Dans leurs milieux d’origine, les Ibis sacrés se regroupent en colonies pour la reproduction parfois avec d’autres espèces d’oiseaux. Ils pondent 2 à 4 œufs dont l’incubation est de 28 jours. Les jeunes sortent du nid 2 à 3 semaines après l’éclosion et quittent la colonie après 40 jours.
En France, les Ibis sacrés adoptent un comportement reproducteur similaire. Il se regroupent dans des sites de reproduction, généralement sur des îlots proches du littoral ou dans des estuaires. Les Ibis sacrés s’installent alors au sommet d’arbres, le plus souvent des Cyprès ou des Pins, fréquents en zone littorale, mais aussi au sol ou sur les buissons.
Les nids d’Ibis sont regroupés jusqu’à former durant l’élevage des jeunes de grandes plateformes communautaires. Ils sont parfois proches des autres espèces d’oiseaux (Cormoran, Spatule, Aigrette, Héron…). En Bretagne, les Ibis sacrés pondent entre 1 et 4  œufs entre avril et juin. En moyenne, le nombre de poussins à l’envol correspond à 25 % des œufs pondus.

L’Invasion et ses effets : une colonisation rapide

En moins de vingt ans, l’Ibis sacré s’est considérablement développé en France et en Bretagne. Ses effectifs ont été multipliés par cent et rien ne semble limiter naturellement la colonisation de l’oiseau.

Origine des Ibis sacrés en Bretagne

L’aire de répartition naturelle de l’Ibis sacré s’étend de l’Afrique subsaharienne à l’Afrique du sud, en passant par l’est de Madagascar. L’espèce est également présente dans la partie sud de l’Irak. L’ibis sacré était aussi présent en Egypte jusqu’au XIXème siècle.
En France, l’Ibis sacré fut introduit par les parcs zoologiques pour son esthétisme et sa facilité d’élevage.
En Bretagne, c’est le parc zoologique de Branféré dans le Morbihan qui importa 20 individus du Kenya entre 1975 et 1980. Le stock se renforça par une nouvelle livraison de 10 oiseaux en 1987 en provenance d’un autre parc zoologique situé dans l’Ain.
Rapidement, les oiseaux formèrent une colonie qui atteignit 300 oiseaux en 1990 puis 350 en 1993. Les jeunes commencèrent à fréquenter les zones humides alentours en s’éloignant toujours davantage. Des colonies se formèrent ainsi sur l’ensemble du littoral atlantique, de la Gironde au Finistère.
Le premier cas de reproduction observé en Bretagne (Morbihan) date de 1994.
Étant donné la mobilité apparente de cet oiseau et la proximité des colonies entre la Loire-Atlantique et le Morbihan, les effectifs d’Ibis sacrés s’élèvent à environ 5000 individus en 2007 pour l’ensemble de l’ouest de la France.

La côte méditerranéenne française subit actuellement le même phénomène de colonisation, à partir d’un parc zoologique.

Impacts et nuisances

Nuisances écologiques

Si au début de l’invasion, les impacts de l‘Ibis étaient considérés comme faibles voire inexistants, l’augmentation sans précédent du nombre d’individus vivant en milieu naturel provoque des sérieuses interrogations quant aux nuisances écologiques potentielles. La prédation sur d’autres espèces d’oiseaux est l’une des principales menaces qui alertent les gestionnaires de réserves naturelles.
Plusieurs cas d’attaque de colonie de Sternes et de Guifettes noires ont été relatés sur la côte atlantique. En effet, l’Ibis n’hésite par à manger les œufs ou les jeunes de ces oiseaux en les chassant de leur nid.
Or les oiseaux victimes de cette prédation sont souvent des espèces protégées et dépendantes des milieux humides que l’Ibis colonise. L’ajout d’un nouveau prédateur ne peut qu’empirer la menace qui pèse sur ces espèces dont l’habitat est actuellement fragile.
Par ailleurs, il a été observé que l’Ibis sacré détruisait la végétation sur laquelle il niche. En effet, l’acidité des fientes provoque la disparition de la végétation des îlots ou le dépérissement des troncs des grands arbres où il établit son nid. Certains propriétaires de bois ont abattu leurs arbres dans le golfe du Morbihan.

Atteinte aux usages

Dans les marais salants, l’Ibis sacré en piétinant les ouvrages, mélange la vase et le sel et gênerait donc le travail des paludiers.
L’Ibis a un impact non négligeable sur l’activité de chasse, pratiquée dans les étangs. En effet, il fait fuir les canards et autre gibier d’eau, rendant l’exercice de cette activité plus difficile.
L’Ibis sacré pourrait représenter un danger potentiel pour le trafic aérien. Son cousin l’Ibis à cou noir a été classé comme un danger important pour les avions en Australie.
Enfin des interrogations émergent quant à son possible rôle dans une épidémiologie vétérinaire. Son utilisation des fosses à lisiers et sa grande mobilité motivent les travaux actuels de l’Ecole Vétérinaire de Nantes.

Mesures de gestion

Si quelques actions ont pu être mises en place sur la Loire, les différents acteurs de l’environnement s'interrogent encore sur les décisions à prendre en matière de gestion de l’Ibis sacré.

Actuellement, aucune mesure de gestion n’a été prise pour limiter les effectifs de cette espèce en Bretagne. Seule une régulation sur le banc de Bilho dans l’estuaire de la Loire a été effectuée en 2006. Sous la responsabilité de la Direction régionale de l'environnement des Pays de la Loire ( Diren), des agents réquisitionnés de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ( ONCFS) et des membres de la Ligue pour la protection des oiseaux ( LPO) ont détruit les œufs de 400 nids (A). Malheureusement, cette opération a été un échec : les oiseaux ont fui la colonie de Bilho et ont aussitôt pondu ailleurs, sur l’île Bacchus dans le Morbihan à 30 km au nord-ouest. Une gestion non adaptée peut donc conduire à la dispersion des colonies et à leur établissement dans des zones moins accessibles. Les nouvelles pontes annulent les efforts de destruction des œufs.
L’année suivante en mars 2007 des opérations de tir ont été mises en place sur les décharges d’ordure de deux communes de Loire-Atlantique (Saint-Michel-Chef-Chef et Cuneix) avec un résultat faible en raison de la brièveté de la période d'intervention.
Dans le même temps, des opérations de tir étaient menées avec succès sur les colonies de l’Aude entraînant la suppression des Ibis reproducteurs de ce département.
Plusieurs arguments jouent en faveur d’une limitation voire d'une éradication coordonnée à grande échelle de l’Ibis sacré  :

1. Il s’agit en effet d’une espèce aux capacités de dispersion et de colonisation importantes qui pourrait renforcer encore son impact sur les autres oiseaux et sur les milieux naturels
2. les populations sont encore à l’heure actuelle limitées
3. l’oiseau est facilement identifiable, reconnaissable et repérable
4. son aire naturelle de reproduction est très éloignée
5. il vaut mieux jouer le principe de précaution quand on connaît le succès des espèces invasives
6. la loi et les décisions ministérielles vont dans le sens d’une élimination des espèces introduites
Malgré ces arguments, l’Ibis sacré s’est attiré la sympathie des Hommes vivant à proximité de ses populations, en particulier dans le Morbihan. Lors d’une enquête de terrain, il s’est avéré en effet que beaucoup de promeneurs interrogés sur l’Ibis sacré en avait une vision positive. Les professionnels et les gestionnaires, soumis au même questionnaire ont eu des avis plus mitigés sur l’Ibis sacré.
La prise de décision quand à la mise en place d’une gestion de cette espèce appartient en dernier lieu aux pouvoirs publics.

Perspectives et recherche : des études engagées

Face à l’invasion, les chercheurs, accompagnés des gestionnaires de terrain ont mené des études destinées à mieux comprendre le mécanisme de l’expansion de l’Ibis sacré.
Si aucune mesure de gestion n’a été mise en place jusqu’à maintenant, plusieurs études ont été réalisées en France dès 2004 pour comprendre la biologie et le mécanisme d’invasion de l’espèce.
Les chercheurs de l’ Inra de Rennes et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage en partenariat avec des associations (Ligue pour la protection des oiseaux, Bretagne vivante), le Parc naturel régional de Brière…, sont parties prenantes dans les études sur cet oiseau (1,2,3) .
Ils ont récemment publié une étude sur le comportement adaptatif de l’Ibis en Europe. Les résultats corroborent les observations de terrain et montrent que l’Ibis sacré a su s’adapter à ses milieux d’introduction grâce à la flexibilité de son comportement alimentaire, sa capacité à explorer et utiliser les milieux artificialisés par les activités humaines. L’étude identifie également les différents foyers européens de colonisation (Belgique, Allemagne, Espagne…).
Ces études scientifiques sont actuellement poursuivies pour mieux connaître le comportement de l’Ibis sacré dans les zones qu’il envahit, pour mesurer ses capacités de dispersion et pour évaluer ses impacts sanitaires et sur les autres espèces.
Par ailleurs le Syndicat intercommunal d’aménagement du Golfe du Morbihan ( SIAGM) avait engagé un suivi des populations d’Ibis sacré sur son territoire (4). L’étude, menée en 2005, a montré que de nombreux individus juvéniles, investissaient le territoire du Golfe du Morbihan, apparemment à partir du banc de Bilho situé dans l’estuaire de la Loire. En outre les auteurs affirment que le succès reproducteur dans la zone d’étude a été important. Ils laissent enfin entrevoir la possibilité d’une gestion de l’espèce avant que l’invasion n’atteigne un niveau plus important.

Rédigé par Fabrice Pelloté en collaboration avec Philippe Clergeau et Olivier Lorvelec (Inra).

Références
Ouvrages et publications
1. Clergeau P. and Yésou P. 2006. Behavioural flexibility and numerous potential sources of introduction for the sacred ibis: causes of concerns in western Europe. Biological invasions 8, 1381-1388.
2. Clergeau P., Yésou P., and Chadenas C. 2005. Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus). Etat actuel et impacts potentiels des populations introduites en France métropolitaine. Inra, ONCFS. 1-52.
3. Pascal M., Lorvelec O., Vigne J.-D., 2006. Invasions biologiques et extinctions. 11 000 ans d'histoire des vertébrés en France. Editions Belin Editions Quae, 350 pages qui est une mise à jour du rapport ( téléchargement) :
Pascal M., Lorvelec O., Vigne J.-D., Keith P. & Clergeau P. (coordonnateurs), 2003. Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions. Inra, CNRS, MNHN. Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003 : 381 pages. (rennes.inra.fr/scribe/document/rapport.pdf)
4. Quenot F. 2005. Contribution à l'élaboration d'une stratégie de gestion des espèces invasives. Institut de géoarchitecture. Projet de parc naturel régional du Golfe du Morbihan. 55p.

Dubois P.J.; Le Maréchal P.; Olioso G; Yésou P. 2001. Inventaire des oiseaux de France. Avifaune de la France métropolitaine
Sites internet
A: Reproduction des Ibis sacré en 2006, suivi sur le banc de Bilho (Loire-Atlantique) et synthèse régionale