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Dernière modification le 05 mai 2008


Les Ecrevisses

Introduites dès le XIXème siècle en Europe, les Ecrevisses allochtones ont rapidement colonisé les milieux aquatiques disponibles. Elles sont dorénavant présentes dans de nombreux plans d'eau en Bretagne mais leur impact sur les écosystèmes locaux est encore discuté.


Description, origine et répartition

Il existe plusieurs espèces d'Ecrevisses introduites, venant essentiellement d'Amérique du nord.
Les Ecrevisses sont des Crustacés d'eau douce qui s'apparentent au Homard et à la Langoustine. Munies d'un rostre qui prolonge la tête vers l'avant, les Ecrevisses ont leur tête soudée au thorax, formant le céphalothorax divisé en 5 segments avec chacun une paire d'appendices : 4 paires de pattes, 1 paire de pinces. Le corps se termine par l'abdomen divisé en 6 segments, 5 avec des pléopodes sur lesquels les oeufs peuvent être collés, le 6ème portant le telson et les uropodes (queue).
La taille varie de 9 cm à 20 cm selon les espèces.

Plusieurs espèces d'Ecrevisses ont été introduites en Europe et sont présentes en Bretagne :

  • Famille des Astacidés (comme les Ecrevisses autochtones) :

Ecrevisse signal (Pacifastacus leniusculus), originaire de Californie
Ecrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus), originaire d'Asie mineure et centrale

  • Famille des Cambaridés :

 

Ecrevisse américaine (Orconectes limosus), originaire de la côte est des Etats –unis

Ecrevisse de Louisiane (Procambarus clarkii), originaire de Floride.Parallèlement, il existe une espèce d'Ecrevisse autochtone en Bretagne : l'Ecrevisse à pieds blancs (Austropotamobius pallipes).

Habitat

Les Ecrevisses introduites, tout comme leurs homologues autochtones, se développent dans les rivières, les plans d'eau et les marais. Il existe cependant des préférences selon les espèces. L'Ecrevisse de Louisiane préfère les marais, alors que l'Ecrevisse américaine affectionne davantage les cours d'eau de plaine à courrant lent.
L'Ecrevisse américaine tolère généralement des eaux de qualité plus médiocres que ses homologues allochtones ou autochtones.

Régime alimentaire

Les Ecrevisses sont polyphages, elles se nourrissent de larves d'insectes, de mollusques, de détritus organiques, de végétaux… Souvent très agressifs, ces crustacés peuvent parfois pratiquer le cannibalisme, en particulier sur les individus les plus faibles ou fragilisés par la mue (corps mou).

Reproduction

La fécondation est externe chez les Astacidés et interne chez les Cambaridés.
Quelques jours ou semaines après l’accouplement et la fécondation, les femelles pondent de quelques dizaines (A. pallipes) à plusieurs centaines d'oeufs (P.clarkii). Ces oeufs engendrent des larves après quelques semaines (Ecrevisse de Louisiane) à plusieurs mois (toutes les autres espèces). Elles se transforment ensuite en juvéniles et atteignent par plusieurs mues la taille adulte en quelques années (1 à 3 ans).

Modalités d'introduction et répartition

Les Ecrevisses ont été introduites en Europe pour des raisons avant tout halieutiques.
L'Ecrevisse américaine fut introduite pour la première fois en Allemagne à la fin du XIXème siècle pour remplacer les Ecrevisses autochtones, sujettes aux maladies (surtout à la Peste) (1,2). A partir de là elle colonisa l'ensemble des bassins versants européens. Elle est actuellement présente en Bretagne, en particulier en Ille et Vilaine et dans le Morbihan (3).
L'Ecrevisse de Louisiane fut introduite durant la deuxième moitié du XXème siècle dans plusieurs pays à travers le monde (2). Elle colonisa rapidement les eaux douces des pays chauds (Kenya, Costa Rica, Zambie, Japon méridional...), les pays tempérés (Espagne, Portugal) et même quelques habitats froids (Suède).
En France, on importa des sujets du Kenya vers la fin des années 1970 pour les vendre aux consommateurs, ce qui donna lieu à des introductions dans les milieux naturels.
L'Espagne connut le même phénomène d'expansion de l'Ecrevisse de Louisiane sur son territoire, à tel point que la France finit par importer l'espèce en provenance de ce pays.
Très vigoureuses, de taille moyenne, ces Ecrevisses furent volontairement introduites dans des étangs pour la production.
En Bretagne, l'Ecrevisse de Louisiane fut introduite dans le bassin de la Vilaine dès 1976 dans un élevage des environs de Massérac (2), sans apparemment se répandre. Pourtant, elle est arrivée récemment dans les marais de Redon à partir d’une remontée progressive vers le Nord d’individus de Brière (44), où elle pullule depuis les années 1980, suite à des fuites d’un établissement de stockage. Elle est également présente dans les gravières du sud de Rennes et vers Vitré où elle avait été introduite dans des étangs de production.
On introduisit l'Ecrevisse signal en France dans les années 1970 et celle-ci conquit la moitié du territoire en moins de 30 ans (4). Elle est présente en Bretagne depuis les années 1990 dans le Morbihan et l'Ille et Vilaine (3). De nombreuses introductions ont été effectuées à partir d’un élevage en Mayenne. Elle progresse dans certains cours d’eau à Saumon (Sélune) où elle serait susceptible de présenter un danger pour cette espèce patrimoniale (5).
L''Ecrevisse à pattes grêles est régulièrement importée de Turquie et fournit les poissonneries. En Bretagne, elle serait présente dans les plans d'eau des Côtes d'Armor à la suite d’introductions (3).

Impacts des Ecrevisses introduites

Grâce à leur forte capacité d'adaptation, les Ecrevisses américaine s'installent facilement dans les divers milieux aquatiques.

Impacts écologiques

Les Ecrevisses introduites à partir d'Amérique du nord se sont rapidement installées dans les écosystèmes de Bretagne. Elles sont généralement caractérisées par :

 

  • une maturité sexuelle atteinte plus rapidement (après un été)
  • une durée d'incubation des oeufs plus courte
  • des oeufs plus petits et plus nombreux
  • une période de ponte plus longue

 

Ces caractéristiques biologiques permettent aux Ecrevisses introduites de s'adapter plus rapidement aux changements du milieu, alors que les Ecrevisses autochtones sont adaptées à des milieux stables, peu changeants.
En outre, les Ecrevisses introduites peuvent, en particulier l'Ecrevisse de Louisiane, être particulièrement résistantes aux conditions du milieu (sécheresse, manque d'oxygène,...). Leurs caractéristiques leur permettent de coloniser rapidement des milieux historiquement vierges de toute écrevisses autochtones (marais, étangs de plaine).
L’Ecrevisse américaine, adaptée dans son aire d’origine à des conditions médiocres, a colonisée des milieux dégradés autrefois colonisés par des Ecrevisses autochtones (Bassin de la Seine).
Les Ecrevisses introduites, ubiquistes dans leur habitat d’origine, ont donc un avantage sur les Ecrevisses locales (plus spécialisées) qui tendent à disparaître (sensible à la Peste).
Les Ecrevisses introduites donnent lieu a beaucoup de spéculation à propos de leur impact sur les écosystèmes, mais aucune mesure précise n’a été effectuée. Il a été constaté que les Ecrevisses de Louisiane provoquent une diminution de la biomasse des poissons dans les étangs, par compétition alimentaire (6).
Cependant, dans certains cas, elle est considérée comme espèce clé de l’écosystème par son rôle d’"espèce ingénieur" (elle transforme le milieu qui devient favorable à d’autres animaux). Elle peut devenir elle-même une source de nourriture pour des prédateurs (Brochet, Sandre, Carpe) et la faune annexe (Loutre, Ibis sacré, Visons…).

Impacts hydrauliques

Parmi les Ecrevisses introduites, l'Ecrevisse de Louisiane a des capacités de fouissement très importantes. Elle peut creuser des galeries jusqu'à des profondeurs de 2 m dans la berge. Elle s'y réfugie notamment lorsque le niveau de l'eau baisse fortement lors des périodes sèches. Cette adaptation est liée à son habitat d’origine, les marais de Louisiane où le niveau d’eau varie fortement au cours des saisons.
Ces galeries peuvent fragiliser les berges des étangs et des marais. Il en est de même de l’Ecrevisse signal qui creuse les berges des ruisseaux (trous de 30-50cm).

Impacts sanitaires

Les Ecrevisses introduites peuvent être porteuses saines d'un champignon parasite (Aphanomyces astaci) responsable de la Peste des Ecrevisses (Aphanomycose). Découvert vers le milieu du XIX ème siècle en Europe, ce champignon décima de nombreuses populations d'Ecrevisses autochtones. Il semble que ce parasite fut introduit à la faveur d'essais d'acclimatation d'Ecrevisses américaines ou transporté dans les ballasts des bateaux en provenance des Amériques (8).
On introduisit ensuite les Ecrevisses américaines sans savoir que celles-ci pouvaient être porteuses saines de ce champignon (résistance acquise par coévolution entre les deux espèces : écrevisse et champignon) pour pallier la mortalité des Ecrevisses locales et maintenir la production.
Depuis, la maladie se déclare sporadiquement parmi les Ecrevisses autochtones quand leur densité permet sa transmission (8).
L'Ecrevisse signal semble actuellement être le principal porteur sain de ce parasite même si les autres espèces introduites peuvent être atteintes à des degrés divers et pérenniser la maladie (7).

Impact économique

L'introduction et la propagation des Ecrevisses dans de nombreux plans d'eau en France a permis le développement d'activités de pêche et de production locales. Les pêcheurs amateurs vendent en effet leurs prises aux restaurants, au mépris de la réglementation actuelle (9).
Cependant, le développement d'Ecrevisses de Louisiane dans les plans d'eau à vocation piscicole déprécierait la valeur du stock de poisson en plus d'en diminuer la biomasse (6).
Il reste donc à estimer les bénéfices et les coûts réels de l'introduction d'Ecrevisses dans les écosystèmes français et bretons.

Gestion des populations d'Ecrevisses introduites

Il n'existe pas de solution bien définie pour gérer les populations d'Ecrevisses introduites.
La pêche

La solution la plus simple consiste à limiter ses populations par la pêche (9). Cette activité entretient une pression constante sur les Ecrevisses, ce qui limite le développement de ses populations à un niveau acceptable.
La pêche des espèces invasives d'Ecrevisses est d'ailleurs autorisée durant la période d'ouverture officielle de cette activité. Il n'y a pas de taille minimale à respecter et la remise à l'eau des individus vivants est interdite, ainsi que leur transport, afin d'éviter la propagation de l'espèce (10).

Lutte chimique

Dans les pays où les Ecrevisses causent des dégâts, les gestionnaires et les chercheurs ont testé l'effet des pesticides. Plusieurs substances ont été testées. Le fenthion et des pyrèthrinoïdes permettraient d'éliminer les Ecrevisses tout en épargnant les poissons.
Cette méthode peut compléter la séparation manuelle des Ecrevisses et des poissons lors des vidanges de plans d'eau (6).
Toutefois, les pesticides éliminent également les autres crustacés présents dans les zones traitées (Ecrevisses autochtones et autres macroinvertébrés). Par ailleurs, les pesticides peuvent provoquer des pollutions non négligeables des milieux aquatiques selon la vitesse de dégradation des molécules même si certains comme les pyrèthrinoïdes de synthèse sont très efficaces et se dégradent très vite selon la température (1-2  jours).
Mais les Ecrevisses introduites peuvent rapidement recoloniser le milieu traité si celui-ci est en relation avec le restant du réseau hydrographique épargné par le traitement.

Lutte biologique

Des observateurs espagnols ont observé il y a quelques années une régulation des populations d'Ecrevisses de Louisiane par le Silure glane. Seulement, en milieu naturel, les Ecrevisses profitent d'abris plus nombreux qui leur permettent d'échapper à ce poisson (9). Des expériences, en Suisse, ont permis une réduction des populations par l’introduction de nombreuses anguilles dans des lacs.

Perspectives et recherche

La recherche sur les Ecrevisses est particulièrement active à travers le monde et en particulier en Europe.
Dans cette optique le réseau Craynet a été créé en 2002 suite à une conférence sur la connaissance des Ecrevisses organisée en 2001 à l'Université de Poitiers. Ce réseau rassemble des dizaines de chercheurs européens qui travaillent sur cette thématique. Les résultats de leur recherche sont régulièrement publiés dans le Bulletin français de la pêche et de la pisciculture suite à des rencontres scientifiques destinées à partager les connaissances sur ce sujet.
Ces rencontres abordent différents aspects de la recherche sur les Ecrevisses :

 

  • Mise à jour de la distribution géographique des différentes espèces (dont les espèces introduites)
  • Génétique
  • Classification des espèces
  • Qualité de l'eau
  • Reproduction, croissance et nutrition
  • Pathologie
  • Ecotoxicologie

Les Ecrevisses introduites sont également étudiées à travers ces différents aspects de la recherche.
En Bretagne, la dernière mise à jour de la répartition des différentes espèces d'Ecrevisses date de 2003 (11) suite à une synthèse nationale réalisée par le Conseil supérieur de la pêche.
Le laboratoire Ecobiologie et Qualité des Hydrosystèmes Continentaux de l' Inra de Rennes a également travaillé sur les différentes espèces d'Ecrevisses introduites et autochtones. Ces études récentes traitent du sommeil de l'Ecrevisse de Louisiane (12), du mode de reproduction de l’Ecrevisse marbrée (13), des couleurs arborées par ces espèces (14)... Rédigé par Fabrice Pelloté (Inra) en collaboration avec André Neveu (Inra).

Références citées

1 Laurent P.J. 1997, Introductions d'Ecrevisses dans le monde historique et conséquences. Bulletin français de la pêche et de la pisciculture. No 70. 345-356
2 Laurent P.J., Lelouarn H., Neveu A. 1991. Remarques sur l'acclimatation en France de Procambarus clarkii (Decapoda Cambaridae). Bulletin mensuel de la Société Linnéenne de Lyon. 60 (5) 166-173
3 Changeux 2003. Evolution de la répartition des Ecrevisses en France métropolitaine selon les enquêtes nationales menées par le Conseil supérieur de la pêche de 1977 à 2001 (Note technique). Bulletin français de la pêche et de la pisciculture. No 370-371. p 15-41
4 Neveu. 2006. Les Ecrevisses étrangères sont-elles invasives? Quelles caractéristiques expliquent leur développement? L'Astaciculteur de France. No 86.p 2-11.
5 Neveu A. 2005. Pacifastacus leniusculus un nouveau danger pour le saumon Atlantique (Salmo salar) ? Approche expérimentale de sa capacité de prédation des alevins nageants ? L’Astaciculteur de France. 83. p 2-6.
6 Roqueplo C., Laurent P.J., Neveu A. 1995. Procambarus clarkii Girard (Ecrevisse rouge des maraisde Louisiane), synthèse sur les problèmes posés par cette espèces et sur les essais pour contrôler
cette population. Deuxième partie. L'Astaciculteur de France. 45. p 2-17.
7 Neveu A. 1998. Pacifastacus leniusculus: son rôle de vecteur et de réservoir de la peste des Ecrevisses (Aphanomycose). Etat actuel des connaissances. L'Astaciculteur de France. 57. p 6-10.
8 Neveu A. 2000. L’Ecrevisse de Louisiane (Procambarus clarkii): réservoir permanent et vecteur saisonnier de l’Aphanomycose dans un petit étang de l’Ouest de la France. L’Astaciculteur de France 63.p 7-11.
9 Roqueplo C., Laurent P.J., Neveu A. 1995. Procambarus clarkii Girard (Ecrevisse rouge des marais de Louisiane), synthèse sur les problèmes posés par cette espèces et sur les essais pour contrôler cette population. Première partie. L'Astaciculteur de France. 44. p 2-14
10 Fédération d'Ille et Vilaine pour la pêche et la protection des milieux aquatiques. Des américaines en Ille et Vilaine. Pêche et rivières d'Ille et Vilaine. 8. p 10-11
11 Bramard M., Demers A., Trouilhe M.C., Bachelier E., Dumas J.C., Fournier C., Broussard E., Robin O., Souty-Grosset C., Grandjean F. 2006. Distribution of indigenous and non-indigenous crayfish populations in the Poitou-Charentes region (France): evolution over the past 25 years.XXXXXXX
12 Neveu A. 2006. Le sommeil chez l'écrevisse.L’Astaciculteur de France .87. p 6
13 Neveu A. 2006. Une belle américaine préfère l'auto-clonage à la reproduction sexuée : le premier cas de parthénogenèse chez les Décapodes. L’Astaciculteur de France 87. p 2-5
14 Neveu A. 2007. A propos de la couleur des Ecrevisses : résultats d'une prospection dans l'Ouest de la France. Etat des connaissances actuelles sur le variant bleu. L’Astaciculteur de France .83. p 11-13.